Archives départementales, Patrimoine

Archives vagabondes #9 Le dessin ou la vie : Léopold Verguet, missionnaire en Mélanésie

Verguet
AD 11 5 Fi 1514 © Archives départementales de l'Aude

Personnage haut en couleur, natif du faubourg de la Trivalle, le chanoine Léopold Verguet demeure une figure incontournable de l’historiographie carcassonnaise des XIXe et XXe siècles.

 

Cette chronique vous est présentée dans la rubrique Archives vagabondes

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Numismate, archéologue, passionné d’histoire et d’antiquités, mais aussi inlassable collectionneur, il fut également un des pionniers de la photographie dans le département de l’Aude, multipliant à partir de 1855 environ les clichés de la Cité, alors en proie aux intenses travaux de sa restauration dirigés par Eugène Viollet-le-Duc. Mais, bien avant d’appartenir au vénérable chapitre de la cathédrale Saint-Michel, Léopold Verguet fut d’abord un jeune prêtre attiré par les horizons lointains des missions apostoliques. Après un passage par le séminaire Saint-Sulpice, il intègre à Paris le couvent des Pères Maristes, entièrement dédié aux missions étrangères d’évangélisation.

A travers le Pacifique


          De 1844 à 1848, Verguet appartient à la première mission catholique du vicariat de Mélanésie. Le territoire de celle-ci englobe alors les archipels de Wallis-et-Futuna, les îles Tonga, les Fidji, mais aussi la Nouvelle-Calédonie et la Nouvelle-Zélande. En 1854, après son retour en France, le prêtre carcassonnais relate en détail ces cinq années d’apostolat auprès des populations océaniennes dans un copieux ouvrage édité à compte d’auteur. Parti de Londres en février 1845, l’équipe des missionnaires rallie d’abord le Cap, puis l’Australie et le port de Sydney après une navigation de plus de quatre mois. Le groupe des ecclésiastiques français tente ensuite de s’installer sur la grande terre calédonienne et poursuit ses explorations dans l’archipel des îles Salomon. Mais, en mars 1845, leur chef, Monseigneur d’Epalle, y est massacré par les guerriers d’une tribu hostile de l’île de Santa Isabella. Le groupe des missionnaires se replie alors sur une autre île, plus accueillante, Arossi, où Verguet passe un an au milieu des Mélanésiens dont il décrit, avec beaucoup de préjugés, la vie quotidienne et les coutumes.

          En 1847, une nouvelle tentative d’implantation en Nouvelle-Calédonie se solde par un nouvel et sanglant échec. Les missions de Baïaoup et de Poébo, attaquées par les tribus canaques, sont détruites et certains des missionnaires et des convertis sont tués sauvagement malgré l’arrivée salvatrice d’un navire de guerre français. Peu de temps après, c’est l’établissement d’Arossi qui subit les foudres des indigènes et doit être évacué. Désormais, s’en est fini des rêves évangélisateurs du missionnaire carcassonnais, qui prend lentement le chemin du retour, en passant par l’île de Sainte-Hélène où il visite le tombeau de Napoléon.
 

Une profusion de dessins


          C’est par le texte, mais aussi par le dessin, que Léopold Verguet raconte ses multiples aventures océaniennes. Son récit publié est ainsi émaillé de multiples représentations de cartes, de paysages, de portraits ou d’instantanés de la vie quotidienne. Celles-ci sont toujours soignées et d’une grande précision. Elles dénotent un réel souci de restituer la réalité au plus près et sont très souvent accompagnées de légendes explicatives qui trahissent une préoccupation quasi ethnologique. Un album de dessins, réalisé durant cette période et conservé à Rome dans les archives de la congrégation, est ainsi particulièrement représentatif de cette frénésie illustrative des espaces lointains. On y trouve beaucoup de portraits, mais aussi des objets et des scènes détaillées, destinées à illustrer l’histoire de la mission et ses tragédies. Un tel document, de grand format et en couleur, fait d’ailleurs regretter la disparition d’un autre album, rempli surtout de dessins d’oiseaux exotiques, vraisemblablement disparu lors du voyage de retour.
          Une tradition orale carcassonnaise, sans doute initiée par l’abbé lui-même, rapporte d’ailleurs comment les qualités de dessinateur de Verguet lui permirent d’échapper à une mort certaine dans les contrées mélanésiennes. Parmi les traditions des peuplades indigènes, de la Nouvelle-Calédonie aux îles Salomon, c’est bien sûr le cannibalisme qui constituait l’horreur absolue pour les missionnaires, qui n’avaient de cesse de dénoncer cette pratique rituelle et d’exiger son abandon définitif. Capturé un jour par une tribu adepte de cette pratique, Léopold fut enfermé dans une cage. Les uns après les autres, l’ensemble des membres du clan défilèrent devant celle-ci pour apprécier l’objet de leur festin à venir. Las d’attendre et résigné, l’abbé se mit à dessiner et eut ainsi l’idée de réaliser un portrait du chef indigène. Subjugué par les pouvoirs de cet étrange personnage, capable de reproduire le réel à sa guise, ce dernier le fit aussitôt libérer. 
 

          Jusqu’à la fin de ses jours, Verguet fut hanté par sa jeunesse aventureuse dans les îles australes. Dans sa maison natale, il vécut jusqu’à l’âge de 97 ans, entouré d’une compagnie de singes et dans un joyeux fatras d’objets océaniens. Rien d’étonnant donc à ce que, parmi ses pensées nostalgiques, il se souvint qu’en croquant un portrait, il avait évité d’être croqué !

Bibliographie


Fabre (D.) et Piniès (J.-P.), L’arpenteur des nostalgies. Léopold Verguet (1817-1914), Carcassonne, GARAE-Hésiode, 2004.
Verguet (L.), Histoire de la première mission catholique au vicariat de Mélanésie, Carcassonne, Labau, 1854.