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Le territoire dans tous ses états ! #2 Les inondations d’octobre 1891

inondations 1891
AD 11 5 Fi 1291 © Archives départementales de l'Aude

Des épisodes pluvieux intenses sont observés fréquemment dans l'Aude et, plusieurs fois par siècle, notre département subit d’importantes inondations. Certaines d’entre-elles sont dites «historiques», comme celle d'octobre 1891, généralement décrite comme la plus importante avant celle de novembre 1999 pour les bassins versants de l’Aude et de l’Orbieu.

Cette chronique vous est présentée dans la rubrique Le territoire dans tous ses états ! 

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Une inondation exceptionnelle


Le discours de M. Beverini-Vico, Préfet de l’Aude, au lendemain de l’inondation de 1891, décrit l’épisode météorologique qui vient de se dérouler : «Une trombe d’eau s’est abattue dans la nuit du samedi au dimanche 25 octobre, sur les sommets des Corbières qui séparent le bassin de l’Orbieu des bassins de la Sals et de l’Aude. La Sals, démesurément et instantanément grossie, après avoir ravagé les communes de Rennes-les-Bains et de Couiza, a déversé vers minuit dans l’Aude déjà gonflée par la forte pluie tombée samedi, une lame d’eau qui a parcouru en quelques heures toute la vallée, inondant et désolant un grand nombre de villes et de villages et notamment Limoux, Carcassonne, Trèbes, Puichéric, Saint Marcel, Canet d'Aude, et s’est étalée dans la matinée de dimanche dans la plaine du Narbonnais.» 
 

 

M. Buffet, ingénieur des Ponts et Chaussées, donne, quant à lui, des précisions sur la soudaineté et l’ampleur de la crue : «Toute la journée du 24 octobre et une partie de la nuit, la pluie est tombée à torrents. Les pluviomètres ont accusé dans les 24 heures, une chute de plus de 20 cm, qui a même atteint 30 cm à Carcassonne, 31 cm à Montlaur et 34 cm à Trèbes.»

La ville de Carcassonne sous les eaux


Dès le samedi 24 octobre la situation était inquiétante, comme le relate le journal L’Eclair du dimanche matin, faisant référence à la situation de la veille : 
 

 

Le témoignage précis du Dr Petit nous donne plus d’information sur l’évolution des précipitations du samedi 24 octobre au dimanche matin. Il fait le constat, au petit matin, du débordement considérable de l’Aude à Carcassonne : « Les nuages s’amoncelaient petit à petit au cours de la journée du 24 octobre 1891. Le marin soufflait et agitait ce jour-là une pluie intense. Ce fait, à priori ordinaire, devenait inquiétant par sa persistance. Dans la soirée, un télégramme avait annoncé que le Lauquet avait débordé, mais rien ne permettait de déterminer s’il s’agissait d’un événement local ou généralisé à toute la vallée de l’Aude. Les habitants de Carcassonne ne furent pas alertés par les autorités et s’endormirent sans se douter de ce qui se préparait. A 4h 30, les cloches de la cathédrale se mirent à sonner. La pluie n’avait pas cessé. A 5h, la foule commença à s’agiter dans les rues, le tocsin sonnait pour donner l’alarme : les bas quartiers de la ville étaient inondés. L’Aude avait envahi les faubourgs. Quelques personnes se sont réfugiées aux fenêtres hautes de leur maison inondée.»

 

La plaine Mayrevieille est envahie, la Trivalle et la Barbacane sont submergées. Le niveau de l’eau est monté de 1,5 m à 2,8 m selon les endroits. Le long de l’Aude, quelques pans de murs se sont écroulés, laissant voir l’intérieur des maisons délabrées. Cette inondation fit deux victimes à Carcassonne.

 

Le dimanche matin, les habitants s’entraident pour déblayer les quartiers et les maisons les plus touchés : les rues sont encombrées de vase jetée depuis les maisons, les caves sont pompées à l’aide de pompes à main ou à vapeur.

 

L’usine à gaz fut envahie d’eau vers 3h du matin, les canalisations ont rompu et la ville a été plongée dans le noir et privée de gaz pendant 8 jours. Cependant, l’éclairage public n’a été suspendu que pendant une journée, des lampes à pétrole prenant le relais des réverbères.

Une crue historique à Trèbes


La catastrophe est tout aussi considérable à Trèbes. Des témoignages sont publiés les jours suivants dans L’Eclair : «Quand je m’approche de Trèbes, le désastre prend des proportions inouïes. Partout du limon, des poutres, des détritus variés. L’immeuble de M. Loubat, distillateur, est à moitié démoli, la tuilerie voisine est aux ¾ détruite, l’immeuble Ruffel n’a plus que ses quatre murs.» 


Baptiste Oustric, et son fils âgé de 13 ans, sont assaillis par les eaux et passent 20h sur un platane de la route, tandis que sa femme et son deuxième enfant, de deux ans, attendent sur la toiture ébréchée de leur maison. Nombreux sont ceux qui doivent se réfugier sur les toits. On fait monter les poules, les lapins et les cochons aux étages. On voit passer sur l’eau une table de nuit avec un chaudron dans lequel se trouve un chat, des charrettes remplies de fourrage. Les magasins à blé sont noyés, toute la récolte est perdue. Le lendemain, les habitants découvrent les vignes arrachées, les champs bouleversés, les maisons détruites, et la vase à évacuer dans toute la ville : les dégâts sont nombreux. Même le train est touché : le tunnel de Trèbes a été envahi, le «rapide» de Marseille y est tombé en panne, l’eau ayant éteint le feu de la machine, il a dû être remorqué.
 

Réparer et reconstruire

Suite à cette inondation, on décompte douze morts dans le département, dont sept restent ensevelis sous les ruines de leurs maisons à Limoux. 
 

 

Le conseil municipal de Limoux se réunit dès le 29 octobre, en présence du sous-préfet, pour penser aux réparations et aux aides pouvant être apportées à toutes les personnes touchées. Plusieurs familles sont «sans pain et sans asile». Le Préfet a versé au maire 500 francs pour leur venir en aide. L’Etat a, quant à lui, versé la somme de 20 000 francs pour cette catastrophe, à répartir entre les différentes communes impactées. La ville de Limoux a pu ainsi obtenir 2000 francs. Mais ce n’est pas suffisant. Un comité de secours d’initiative privée s’est formé et a déjà réuni 3500 francs. Le conseil municipal vote quant à lui le déblocage d’une première somme de 2000 francs pour les frais de travaux et de dégagements des voies. 

 

Cet épisode n’est malheureusement pas le seul de ces derniers siècles. Il faut aussi compter, entre autres, les inondations de septembre 1843, de septembre 1874, de juin 1875, d’octobre 1907, de mars 1930, de décembre 1932, de septembre 1933, d’octobre 1940, de septembre 1965 et de novembre 1999, sans oublier celles qui ont marqué le début de notre siècle.

Bibliographie


Petit (A.), « L’inondation du 25 octobre 1891 à Carcassonne », Bulletin de la Société d’Etudes Scientifique de l’Aude , tome 3, 1892, p. 229-253. (17 PER 3)

Sarda (M.), « L’inondation du 25 octobre 1891 », Bulletin de la Société d’études historiques de Trèbes, tome 7, 1995-1996, p. 26-40. (178 PER 1)

Benazet (J.), Alaux (H.), «Crues de l’Aude à Carcassonne de 1800 à 2003 et zone d’inondations de la ville basse », Bulletin de la Société d’Etudes Scientifique de l’Aude, tome 104, 2004, p. 37-55. (17 PER 111)