Archives vagabondes #6 UNE PLANTATION DE CAFE EN ABYSSINIE

Henri de Monfreid au domaine d'Araoué, Abyssinie © AD11

Partez à la découverte du petit paradis éthiopien d'Henry de Monfreid, écrivain et aventurier (1879-1974), duquel les Archives départementales de l'Aude Marcel Rainaud possèdent les précieuses archives.

Cette chronique vous est présentée dans la rubrique Archives vagabondes

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Dans les pas de Rimbaud

Peu de temps après son arrivée dans la corne de l’Afrique, en 1911, et son installation à Djibouti, Henry de Monfreid part à la découverte des hauts plateaux de l’Abyssinie. A l’époque, il travaille pour une entreprise de négoce française qui centre ses activités sur le commerce des cuirs et du café. Au cours de ses explorations, il découvre alors, avec stupéfaction, la sauvagerie de la nature et la beauté des paysages des montagnes du Tchercher et des régions adjacentes, où il visite les villes de Diré-Daoua, Harar, Deder ou encore Jijiga, qu’il immortalise par de nombreuses photographies. Ces clichés nous transportent indiscutablement à travers les âges ; dans une sorte de jardin d’Eden qui semble figé dans l’immobilité depuis des millénaires. Dans une lettre du 10 novembre 1911, adressée à son père, il écrit : «Là, je t’avoue que j’ai été très impressionné par la puissance de la végétation et ces forêts dépassent tout ce que j’avais pu imaginer. C’est la forêt primitive des temps lacustres avec des végétaux géants, des lianes qui montent comme des tuyaux dans les hauteurs des arbres. Il y a là de ces ancêtres, de ces cèdres gigantesques qui semblent être morts là pour fixer par leurs branches sèches ce geste magnifique des vieux arbres». 

Au gré de ses courses à dos de mulet, il entre aussi en relation avec les populations locales, rudes et parfois belliqueuses. Toutefois, il s’efforce de ne pas avoir à leur égard de préjugés colonialistes, pourtant largement partagés par les occidentaux présents dans la région. Au sujet de la tribu des Dankalis, redoutables guerriers armés de sagaies, il explique ainsi au même correspondant le 18 janvier 1912 : « Ces Dankalis sont des gens sympathiques malgré ce que nous sommes convenus d’appeler leurs crimes car ils ont une certaine loyauté et un grand courage. Ils ne veulent pas que l’on vienne chez eux voilà tout ; mais si on a la promesse qu’ils vous laisseront passer, leur hospitalité en somme, on ne touchera pas un cheveu de la personne ainsi protégée. Ce sont des nomades très fiers et indépendants qui pourraient devenir des amis des Français si ceux-ci savaient s’y prendre. Comme courage, ils sont extraordinaires ».

Un petit paradis éthiopien 

Après de longues années passées à naviguer en Mer Rouge pour concrétiser de juteux trafics (hachich, perles, armes, …), Monfreid, qui s’est entre temps marié et a eu des enfants, revient vers les hautes terres éthiopiennes au début des années 1920. Il investit d’abord une partie de sa fortune dans une centrale électrique et une minoterie à Diré Daoua, avec divers associés français et italiens. Puis, dans la région d’Harrar, qualifiée par Arthur Rimbaud de « Suisse éthiopienne », où la chaleur est beaucoup plus supportable qu’à Obock, village situé de l’autre côté de la baie de Djibouti, Henry achète à Araoué, localité juchée à 1600 mètres d’altitude, un vaste terrain où il fait construire trois petites maisons. En 1923, c’est toute la famille de Monfreid qui investit ces bungalows, ouverts sur un vaste jardin. Grâce au détournement d’une rivière, le maître des lieux parvient à transformer une colline desséchée en luxuriante plantation, où de multiples essences cohabitent, mais où dominent les caféiers.

Dans la propriété d’Araoué, Armgart, la femme d’Henry se sent bien, malgré l’absence quasi-totale d’occidentaux. Elle y peint beaucoup, tout en surveillant les enfants qui utilisent les grands bassins des réserves d’eau comme des piscines. Le couple de Monfreid est populaire auprès de la population locale, qu’il soigne quand c’est possible et à laquelle il distribue gratuitement des médicaments. La journaliste américaine Ida Treat décrit ainsi l’endroit dans une correspondance de 1929 : « Depuis deux semaines, je suis dans le paradis terrestre – et sans serpent ! Ô si seulement vous voyiez cela ! Araoué…un pays admirable… Et les aimables Noirs, tellement plus beaux à regarder que les Blancs – et plus doux, et plus agréables comme caractère. Je baragouine quelques mots d’arabe, quelques mots de cotou et nous nous entendons à merveille. Tout se termine inévitablement par de grands éclats de rire. On me soigne comme une reine ».


Quelques années plus tard, en mai 1933, Henry de Monfreid est expulsé d’Ethiopie ou, plus exactement, il y est désormais interdit de séjour. Le régime du négus Haïlé Sélassié n’a pas apprécié certains passages des ouvrages de l’écrivain et le poursuit donc de sa vindicte. Henry ne peut plus se rendre à Araoué. D’ailleurs, sa femme et ses enfants vivent désormais, totalement ou partiellement, en France. Il ne retourne dans sa chère plantation qu’en 1936, tandis que la région est désormais occupée par l’armée italienne, venue pour assouvir les rêves de grandeur coloniale du Duce, et y poursuit alors patiemment ses travaux agricoles, son activité d’écrivain et ses œuvres caritatives. C’est là que le second conflit mondial et l’irrésistible avancée des troupes britanniques le trouvent en 1941. Au début tout va bien et rien ne vient troubler le calme de la petite colline. Mais, un an plus tard, tout s’écroule ! Déporté au Kenya en mai 1942, puis rentré définitivement en France en 1947, il ne reverra jamais son petit paradis abyssin, qu’il regrettera amèrement jusqu’à la fin de sa vie.