Le poète militant
Politique, enseignement, journalisme ou littérature, l’action de Prosper Estieu dans l’un ou l’autre de ces sujets est en effet, pour le moins « engagée », parfois même véhémente. Jeune, il s’éloigne du petit séminaire auquel le prédestinaient ses parents pour entrer à l’Ecole Normale dont il sortira en 1879, date de ses premiers poèmes et de sa rencontre avec « le félibre rouge » Auguste Fourès. Cette amitié est à l’origine d’une de ses premières actions coup de poing. En effet, pour répondre aux dernières volontés de Fourès, Prosper Estieu, à la tête d’un cortège civil, présidera à l’exhumation du corps de son ami défunt, enterré religieusement (!) pour l’ensevelir debout la tête orientée vers le levant.
On s’en doute, ce « témoignage d’amitié » déplaît à l’Institution qui mute l’instituteur Estieu de Ginestas à Fraisse-Cabardès. Dès lors, il s’engage plus avant dans la défense de la langue et de la littérature d’oc. Malgré l’arrêté signé par Jules Ferry en 1881 stipulant que « le français sera seul en usage à l’école », il enseigne et écrit en occitan.
« Militant inlassable, Prosper Estieu a influencé le mouvement occitan en défendant une réforme orthographique […]. Son œuvre est marquée tout autant par son amour pour la terre occitane que par son action soutenue pour faire faire de l’occitan une langue à part entière enseignée à l’école » .
Seul ou aux côtés de compagnons aussi fervents que lui (Achille Mir, Gaston Jourdanne, Antonin Perbosc…), il est à l’origine de nombreuses publications littéraires et poétiques destinées à faire connaître et à magnifier la langue et la culture occitanes.
L'affaire de la statue
En 1909, l’affaire de l’élévation de la statue d’Esclarmonde à Foix compte parmi les signes de son engagement. A cette époque, les lois de séparation de l’Eglise et de l’Etat attisent les tensions entre cléricaux et anticléricaux et constituent un terreau fertile à la naissance de polémiques comme celle qui a pris corps autour de la recherche d’une figure emblématique de la Patrie. Les « patriotes languedociens » ne reconnaissent pas leurs convictions dans le choix du personnage de Jeanne d’Arc et cherchent alors à hisser une « Jeanne d’Oc » sur un piédestal. Leur préférence va à Esclarmonde, sœur du Comte de Foix nimbée de multiples légendes et exaltée par l’historien Napoléon Peyrat dans son Histoire des albigeois. Comme manifeste de cet hommage, décision est prise d’ériger une statue à son effigie, imaginée par le sculpteur Grégoire Calvet, sur les allées de Villote à Foix.
Un comité se crée pour porter l’initiative et rallier à sa cause les milieux intellectuels et artistiques, qu’ils soient parisiens, provinciaux et méridionaux. Le noyau dur de ce comité composé de Prosper Estieu, Antonin Perbosc et de l’avocat ariégeois Arthur Caussou, armé de cartes postales, de publications d’articles et de brochures, mène une véritable opération de markéting pour sensibiliser et susciter l’enthousiasme de l’opinion. Prosper Estieu compose même : « Per la gloria d’Esclarmonda », sorte d’hymne en prévision de l’inauguration.
Pourtant, malgré la liesse suscitée par l’initiative, le soufflé retombe peu à peu. Le désistement de Mistral, initialement fervent soutien, en est peut-être le déclencheur. Au-delà de la bataille rangée entre catholiques et laïcs, la polémique largement relayée par la presse se teinte de multiples interrogations à l’encontre du catharisme, de ses croyances et de ses doctrines. Les questionnements mettent également en doute les postulats de Peyrat sur les agissements et l’influence d’Esclarmonde dans les actes de la résistance albigeoise contre l’Eglise. Même si à l’époque, pour Prosper Estieu, l’affaire relevait d’une « cause nationale », comme en témoigne l’épaisseur du dossier sur le sujet retrouvé dans ses archives, plus de 110 ans plus tard celle-ci nous semble avoir fait long feu ; la déclaration de la 1re guerre mondiale ayant contribué à en enterrer les braises. La statue d’Esclarmonde, quant à elle, restera en deux dimensions… sur une photographie.
bibliographie
Dans la bibliothèque de Léon Nelli
- N° 1517/22 / Estieu (Prosper).- La question d'Esclarmonde. Foix, Gadrat Aîné. In-12°, 46 p. [1911].
- N° 1517/20 / Estieu (Prosper).- Bordons pagans en lenga d'oc am traduction francesa. Carcassonne, G. Servière. In-8°, 29 p. 1899.
- N° 1517/21 / Estieu (Prosper).- Lo romancero occitan (estraits) ; La comtesa Guiborc. La granda colera de Guilhem. Compozicions et dessins de Jana e Auguste Rouquet gravats sus bosc per Achelle Rouquet. Carcassonne, E. Roudière. In-8°, 29 p. 1912.
- N° 604 / Estieu (Prosper).- Lou terradou : sounets lengodoucians. Préface par Antoine Perbosc. Carcassonne, Montauban, M. Bonneville. In-8°, XII-294 p. 1895
- N° 605 / Estieu (Prosper).- Flors d'occitania. Toulouse, J. Marqueste. In-8°, XVII-277 p. Portrait. 1906
- N° 606 / Estieu (Prosper).- La Canson Occitana. Carcassonne, Bibl. de la Revue Méridionale. In-8°, 263 p. 1908
- N° 607 / Estieu (Prosper).- Le romancero Occitan. Traduction française du baron Desazars de Montgaillard. Castelnaudary, Sté d'édition occitane. In-8°, LI-342 p.
- N° 1566/12 / Palauqui (Louis).- Esclarmonde de Foix. Foix, Lafont de Sentenac. In-8°, 39 p., 1911. Envoi d'auteur signé.
Dans la bibliothèque du Centre d’Etudes Cathares
- CEC°502 / J.-M. Vidal. Esclarmonde de Foix dans la poésie, Rome, Tip. Cuggiani, in-8», 40 pages.
- CEC°2798 / Begoüen (Henri). Lettre d'un critique à un de ses amis, membre du Comité formé pour élever un monument à Esclarmonde de Foix. [S. L.] 1911.
- CEC° 3408 / Krystel MAURIN. - Les Esclarmonde : la femme et la féminité dans l'imaginaire du catharisme. Toulouse, Privat, 1995, 238 pp
Dans le fonds local
- Girou (Jean), Vies des personnages célèbres de l’Aude, Montpellier : Cause, Graille et Castelnau, 1940, p.260-263.
- Prosper Estieu (Fendeille, 7 juillet 1860-1939) et la diffusion de la littérature occitane. Dans : Occitan, Occitanie: exposition présentée aux Archives départementales de l'Aude du 14 février au 30 juin 2017 / Archives départementales de l'Aude ; Institut d'études occitanes, collab. – Carcassonne : Conseil départemental de l'Aude, 2017.
- Soula (René) : Le fantôme et la statue. Dans : Histoire du catharisme, n°9, 2009, p. 32-34.