Archives départementales, Patrimoine

LE TERRITOIRE DANS TOUS SES ÉTATS ! #7 Villages abandonnés dans les Pyrénées audoises

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AD11 - 26 C 1 Verbal des recherches du Fenouillèdes et des lieux du diocèse d'Alet et Limoux (1594) © Archives départementales de l'Aude

En 1985, Christian Raynaud met en avant, dans son mémoire de maîtrise intitulé Les villages disparus dans les Pyrénées audoises : les désertions médiévales du Ve au XVIe siècle, l’abandon de multiples localités. Revenons sur ce phénomène qui a marqué l’évolution de l’habitat dans l’Aude à l’époque médiévale.

Cette chronique vous est présentée dans la rubrique Le territoire dans tous ses états !

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Le castrum du Bézu


Documenté seulement à partir du XIIe siècle et surtout pendant la Croisade contre les Albigeois (1209-1240), le castrum du Bézu s’est construit, semble-t-il, sur un habitat bien plus ancien, sans qu’il soit facilement datable. Jusqu’au milieu du XIVe siècle, ce castrum était le point central d’une seigneurie englobant dans sa juridiction de nombreux villages environnants : Bugarach, les Bains, Montferrand… Par la suite, la famille de Voisins s’implante sur toutes les terres confisquées aux faidits entre la seigneurie de Termes à l’Est et les rives de l’Aude à l’Ouest. Ces nouveaux seigneurs vont réorganiser la seigneurie du Bézu, qui laisse alors la place au village de Saint-Just de Voisins. Il s’agit peut-être là d’une réorganisation de l’habitat à l’initiative d’une famille, en proposant des avantages pour entrainer le déplacement spontané des habitants du Bézu vers Saint-Just. Quoi qu’il en soit, le castrum du Bézu s’efface dès le XVe siècle au profit de Saint-Just. D’ailleurs, en 1594, lorsque les arpenteurs du diocèse civil d’Alet visitent le territoire, ils n’évoquent que les ruines d’un château et d’une église. Les habitations ont sans doute été détruites depuis longtemps. L’état de délabrement du château et de l’église laisse à penser que leur désaffection est déjà très ancienne.
 

Le village de Vayra


Trois textes du Xe siècle mentionnent des terres ou maisons données à l’abbaye de Saint-Martin-Lys appartenant à une villa qui prendra plus tard le nom de Vayra. Une ancienne chapelle romane, dédiée à saint Georges, a pu servir d’église paroissiale pour les habitants de Vayra lors de l’apogée de ce terroir (Xe-XIIIe siècles). A partir du XIIIe siècle, Vayra cesse d’exister en tant que localité autonome. Dans la répartition des feux de 1367, Vayra est un « manse », c’est-à-dire, pour l’époque, un hameau (et non pas une exploitation paysanne isolée comme au Haut Moyen Âge) subordonné à l’agglomération d’Axat. L’importance d’Axat grandit encore au XIVe siècle avec le commerce du bois flotté sur l’Aude et la venue de nombreux marchands et travailleurs du bois dans la commune, qui attirait bien plus que ses hameaux avoisinants. Mais la fin du siècle est marquée par la peste et Axat passe de 30 feux en 1367 à 3 feux en 1395, dont probablement plus aucun au hameau de Vayra. En 1537, Pierre Dax, seigneur d’Axat, témoigne des ravages occasionnés par le conflit franco-espagnol en haute vallée de l’Aude : sa seigneurie est alors touchée par la famine, la guerre et la misère. Lorsqu’il évoque Vayra, il précise que le lieu se trouve vide d’hommes. Il n’y a plus personne pour labourer les terres, qui sont dites en friche, il reste seulement des pâturages et des forêts, autrefois exploitées par les habitants d’Axat et d’Artigues. Pierre Dax relève la présence de bêtes sauvages à Vayra (loups, ours), due à la désertion du lieu. Ces animaux et les incursions espagnoles empêchent désormais de faire paître les ovins ou de faire glander les porcs sur les terres de Vayra.
 

Gesse, une désertion temporaire


La première mention de Gesse remonte à 907, dans un acte de Charles le Simple qui confirme à l’abbaye de Joucou la possession de l’église Sainte-Marie-de-Gesse. Son emplacement n’est pas précisément connu mais un « locus de Gessano » apparait dans les archives dès le XIIIe siècle. Passé 1309, la communauté de Gesse disparaît de la documentation. Elle est absente des registres de feux et des dénombrements des XIVe et XVe siècles. En 1594, les arpenteurs du diocèse civil d’Alet n’y indiquent que la présence des ruines d’un château et d’un moulin farinier. Ils signalent qu’il n’y a aucune maison et que seul le village de Bessède est habité, comprenant alors 50 maisons. Gesse disparaît donc entre la fin du Moyen Âge et le XVIIIe siècle, où il est à nouveau mentionné sous forme de simple hameau, réapparition en lien avec les forges et scieries implantées sur le cours de l’Aude.
 

 

Et dans le reste du département ?


Les Pyrénées audoises ne sont pas le seul espace touché par la disparition de villages. Dans certains cantons, comme Lagrasse et Narbonne, plus de la moitié des villages ont été abandonnés au cours du Moyen Âge. A contrario, le Lauragais semble beaucoup moins touché par ce phénomène, car seulement 10% des villages y ont disparu. Ce sont en majorité des villae (33%) ou des castra (agglomérations fortifiées crées du XIe au XIIIe siècle, 12%) qui sont abandonnés. 36% des localités disparues existaient avant l’An Mil et étaient souvent d’anciens domaines créés par les Romains, ce qui explique que le Narbonnais a été particulièrement touché par les abandons d’anciennes villae romaines. Ainsi, ce phénomène n’a épargné aucun secteur de l’Aude, bien que certains espaces aient été beaucoup plus touchés que d’autres.

Bibliographie 


Raynaud (Christian), Villages disparus dans les Pyrénées audoises : les désertions médiévales du Ve au XVIe siècle après J.C., approche préliminaire et bilan provisoire. Mémoire de maîtrise sous la direction de M. Berthe et P. Bonnassie, Toulouse, 1985. (2 J 473)