De Castelnaudary à Khartoum
Edmond Combes (1812-1848) petit dernier d’une longue lignée d’hommes de loi, entreprend lui-même des études de lettres et de droit jusqu’à sa rencontre avec l’œuvre de Saint-Simon à Castelnaudary. La ville offre, en effet, un terreau fertile au mouvement impulsé par Claude Henri de Rouvroy, comte de Saint-Simon (1760-1825) : à une bourgeoisie de robe s’ajoutent des personnes qui se sont enrichies grâce au commerce, des agriculteurs « soucieux de progrès économique » ainsi que la tenue de salons où plus que des conversations, s’animaient des débats d’ordre scientifique et philosophique. En outre, la présence à Sorrèze, de Jacques Rességuier, propriétaire terrien, adepte des thèses du Comte de Saint-Simon, ancien élève de l’abbaye-école facilite cette rencontre et contribue à l’implantation de la doctrine à Castelnaudary. A l’invitation de ce dernier, Prosper Enfantin, un des principaux disciples de Saint-Simon, fait le voyage jusqu’à la cité chaurienne. Il y reçoit un accueil enthousiaste. Edmond, qui a alors une vingtaine d’années, épouse sans retenue le « Saint-Simonisme », galvanisé par l’idée de « créer les conditions inédites d’une société nouvelle, fraternelle et pacifique » même si (et surtout si ?) il doit pour cela quitter la France.
L’occasion de faire sa besace « d’apôtre » se présente dès 1833, sur une proposition du Père (Prosper) Enfantin, il part pour Alexandrie. Prosper Enfantin le rejoint en 1833 après sa relaxe (la « Famille » dont il s’était intronisé Père suprême fut dissoute et lui-même accusé de délit de réunion et d'outrages aux bonnes mœurs. Enfantin emprisonné, les adeptes se réunirent alors sous le nom de Compagnons de la femme ».)
L’objectif de ce voyage au-delà de la seule volonté de prosélytisme était d’envisager la possibilité de construire un canal (le futur canal de Suez) à travers le désert afin de réunir la mer Rouge à la Méditerranée et rendre ainsi l’Europe toute voisine de l’Inde.
La remontée du Nil jusqu’à Khartoum et la mer Rouge inspire à Edmond Combes un récit de voyage en 2 volumes : Voyage en Egypte, en Nubie dans les déserts de Beyouda, des Bicharys et sur les côtes de la Mer Rouge. A l’occasion de ce 1er voyage, il apprend l’arabe avec les matelots du bord et étudie le Coran, ce qui lui permet de définir le « voyageur accompli » :
« […] Et il est rare de voir le même homme réunir à lui seul les qualités qui distinguent les voyageurs accomplis ; les uns ont le courage, les autres ont la science : malheureusement les savants (je parle des savants qui voyagent) n’ont pas, pour les hommes de cœur qui leur fraient les routes, l’estime et les égards qu’ils méritent ; ils affectent de faire peu de cas de leurs travaux et traitent avec un injuste dédain leurs relations de voyages ».
Son expérience d’explorateur l’incite à poursuivre sa comparaison :
ce dédain porte, hélas ! ses fruits amers, et tandis que les géographes, les naturalistes, les archéologues, etc., sont puissamment secondés par les gouvernements et les sociétés savantes, les explorateurs sont abandonnés à leurs seules ressources et ils doivent puiser dans leur cœur le courage et l’énergie nécessaires à l’accomplissement de leurs aventureux desseins.
En effet, Edmond Combe retiendra de cette 1ère expédition, le sentiment d’avoir été heureux car il avait exaucé son vœu de « se retrouver au milieu de peuplades inconnues et sauvages »… réalisé « la bourse vide, avec quelques livres pour bagage ».
Cap sur la Corne de l'Afrique
Après ce 1er voyage, il poursuit sa découverte de la Corne de l’Afrique dès 1835 le long du littoral de la mer Rouge avec l’intention de pénétrer en Abyssinie. Il retrouve à Djeddah son ami, Maurice Tamisier, ancien officier de marine, audois lui-aussi, avec lequel il écrira : Voyage en Abyssinie, dans le pays des Galla, de Choa et d'Ifat. Précédé d'Une excursion dans l'Arabie heureuse, relatant avec une rigueur et une précision ethnographiques le mode de vie, la religion et les croyances, l’organisation des villes et des villages, la justice, les mœurs, la faune, la flore de ce territoire aujourd’hui réparti sur l’Ethiopie, le Soudan et l’Erythrée. Edmond Combes et Maurice Tamisiers profitent également de l’occasion pour proposer dans le 4e volume de ce récit, des corrections aux témoignages qui ont été ramenés par les explorateurs les ayant précédés dans ces contrées tels que Lord George Annesley Valentia et son secrétaire Henry Salt entre 1802 et 1806 ou encore James Bruce entre 1768 et 1772.
Edmond reprend purement et simplement les allégations et formulations desdits explorateurs et met en vis-à-vis ses corrections et observations.
De l'aventure à l'écriture
A son retour en France, comme le fera Henry de Monfreid 80 ans plus tard, il publie ses aventures dans la presse et donne une série de conférences pour rendre compte de son aventure riche en dangers et démêlés en tout genre : avec des villageois et des brigands ou contre les bêtes fauves. Et comme Henry de Monfreid, il se livrera à quelques trafics (d’amulettes) pour survivre.
Toutefois, ce dernier récit ne fait pas l’unanimité. Si le saint-simonien Antoine Metgé s’enthousiasme dans l’Echo de Castelnaudary du 2 avril 1851, « Le public, accueillit avec un vif intérêt ces impressions de voyage, toutes fraîches et originales, qui se recommandent par l'élégance et la pureté du style, l'élévation de la pensée, l'enchaînement et le dramatique des détails, le pittoresque et le fini des descriptions ; c’est à la fois la grâce et l'attrait du roman joints à la sévérité de l'histoire. »
Un siècle plus tard, les expéditions à visée scientifique sont plus fréquentes, la notice biographique du Dictionnaire de biographie française publié en 1961, sous la direction de Roman d’Amat ; archiviste paléographe, conservateur à la Bibliothèque nationale de France est plus tiède et décrit Edmond Combes comme « peu instruit et peu curieux […] semble pas avoir vu grand-chose […] Il publia un voyage en Abyssinie qui est d’une lecture agréable. »
L'Orient, une clé pour entrer chez George Sand
Après ce 2e voyage, Edmond Combes tente d’embrasser une carrière de diplomate mais son parcours s’avère plutôt chaotique, malmené par les bouleversements politiques ponctuant la Monarchie de Juillet et soumis aux soutiens qu’il peut obtenir. Parmi ceux-ci, citons celui de George Sand, qui, fascinée par l’Orient, admire ses expéditions et le recommande auprès de Desessart, son éditeur pour la publication de « voyage en Egypte, en Nubie… ». Elle donne également un nouvel élan à sa carrière en intervenant en sa faveur, auprès de Lamartine alors Ministre des Affaires étrangères. Ce dernier le nomme vice-consul à Damas où Edmond part… avec sa famille. En effet, « entretemps » il s’était marié. Autre évènement mouvementé dans sa vie ! Les parents de sa femme, Anne Doutre, s’opposaient vigoureusement à cette union : Le penchant saint-simonien d’Edmond ? La question reste en suspens. Edmond et Anne se marient quand même et ont deux filles au moment de partir à Damas en 1848.
A ce moment-là, Edmond n’a plus que quelques mois à vivre. A Damas, une épidémie de choléra décime la population. Il est atteint ainsi qu’une de ses filles avant lui. Pour tenter d’échapper à la maladie, il fait comme les habitants et fuit dans un des villages alentours. Sa fille ainée meurt, la 2e est atteinte à son tour. Il change alors d’avis et décide de retourner à Damas où, pense-t-il, ils pourront être soignés. Pour la population restée sur place, fanatisée, c’est ce « chrétien » qui est responsable « du fléau ». Sa femme et sa fille qui ont pu bénéficier d’une protection pourront rentrer dans la ville puis retourner en France. Edmond Combes, lui, fut interdit d’accès, violenté, il mourra le 22 août 1848, déclenchant bien malgré lui une crise diplomatique.


Bibliographie
Dans la bibliothèque de Léon Nelli
- Combes (Edmond).- Voyage en Egypte, en Nubie dans les déserts de Beyouda, des Bicharys et sur les côtes de la Mer Rouge. Paris, Desessart. 2 volumes. In-8° (brochés). Dédié à M. le comte Dejean, conseiller d'Etat, député de l'Aude. 1846
N° 232 Tome 1. XVI-376 p.
N° 233 Tome 2. 484 p. + 1 carte. - Combes (Edmond) et Tamisier (M.).- Voyage en Abyssinie, dans le pays des Galla, de Choa et d'Ifat. Précédé d'Une excursion dans l'Arabie heureuse et accompagné d'une carte de ces diverses contrées (1835-1837). Paris, L. Desessart. 4 volumes. In-8° (reliés). 1838
N° 234 Tome 1. 367 p.
N° 235 Tome 2. 362 p.
N° 236 Tome 3. 379 p.
N° 237 Tome 4. 383 p.
Ces 4 volumes peuvent être consultés sur Gallica.
Dans le fonds local
- Edmond Combes l'abyssinien (1812-1848) : la passion de l'Orient / Paul Tirand. - Paris : l'Harmattan, 2010. - 249 p. - (Espaces littéraires). cote : D°4233
- Tirand (Paul) : Edmond Combes (1812-1848). Dans : Mémoires de l'Académie des Arts et des Sciences de Carcassonne, volume 54, 2010-2011, p. 103-110.