Dans la valise de Léon, il y a... L’indicateur fidèle ou guide des voyageurs…

Cet été, une fois n’est pas coutume, quittons la bibliothèque de Léon (Nelli) pour fureter dans les rayonnages de celle des Archives départementales. Peut-être y trouverons-nous un ouvrage que Léon aurait pu glisser dans sa malle de voyage ? Gageons que « L’indicateur fidèle ou guide des voyageurs… », véritable succès de librairie entre 1765 et 1785, publié par Le Sieur Desnos tout à la fois imprimeur et Ingénieur et Géographe pour les globes et sphères, aurait éveillé l’intérêt de notre ami…

Publié le

… Surtout à la lecture de ses trois sous-titres particulièrement détaillés :


‎Le 1er

« qui enseigne Toutes les Routes Royales et Particulières de la France, Routes levées Topographiquement dès le Commencement de ce Siècle, et Assujetties à une Graduation Géométrique, 

Le 2e

contenant Toutes les Villes, tous les Bourgs, Villages, Hameaux, Fermes, Châteaux, Abbayes, Communautés, Eglises, Chapelles, et autres Maisons Religieuses ; les Moulins, les Hotelleries, les Justices, et les Limites des Provinces, les Fleuves, les Rivières, les Ruisseaux, les Etangs, les Marais, les Ponts, les Gués, les Montagnes, les Bois, les Jardins, les Parcs, les Avenües, et les Prairies traversés par les Grandes Routes 

Le 3e

&accompagné D'Un Itinéraire Instructif et Raisonné sur chaque Route, qui donne le Jour et l'heure du Départ, de la Dinée et de la Couchée tant des COCHES par Eau, que des CARROSSES, DILIGENCES et MESSAGERIES du Royaume, avec le Nombre des Lieües que ces différentes Voitures font chaque jour. 

L’édition conservée à la bibliothèque des Archives départementales est la 5e du titre et date de 1785‎.
 

Après les sous-titres, un avertissement envahit le reste de la page : « Personne ne doit ignorer combien cet ouvrage a coûté de peines et de soins pendant plusieurs années pour le rendre digne du Public. Les susd. Sieurs persuadés de l’avantage que l’indicateur fidèle ou guide des voyageurs peut procurer aux commerçants, navigateurs, voyageurs et à tous ceux qui seront curieux de s’instruire de la distance d’un lieu à un autre, se flattent de l’avoir rendu si complet que les amateurs y trouveront tout ce qu’on peut désirer dans un ouvrage où l’on n’a rien épargné pour le porter à la perfection dont il étoit susceptible. »

En effet, la réalisation de l’ouvrage a dû être fastidieuse car au milieu du 18e siècle, les trajets étaient déterminés en journées et non en heure de voyage. A cette époque-là, Denis-Charles Trudaine fonde l’École Royale des Ponts et chaussée, afin de former des ingénieurs capables de conduire les grands chantiers de réalisation du « réseau routier » souhaité par Louis XV. L’objectif est simple : il doit être possible depuis la Capitale de rallier au galop les coins les plus reculés du Royaume… de façon à permettre une transmission plus rapide des ordres du gouvernement.
 

L’énorme travail de levées topographiques et de dessins de précision qui s’en suivit éclaire sans doute sur la portée de l’avertissement de l’ouvrage. Les ingénieurs travaillaient par zone déterminée d’abord sur les cartes de Cassini, puis se rendaient sur place afin de vérifier la concordance des détails (emplacement de maisons, de forêts, route, culture…) et de contrôler l’orthographe des lieux en lien avec « des personnes instruites » souvent des curés. Néanmoins, la précision des cartes se faisait plus aléatoire au fur et à mesure que l’on s’éloignait du tracé prévu de la route à réaliser. 
La rédaction des minutes de ces relevés faisait l’objet d’une norme et de codes couleur très précis :
«les parties de chaussées faites en pavé seront lavées en rouge, celles de cailloutis ou empierrement en jaune, celles de gravier en gris, et les parties où le terrain naturel n'est revêtu d'aucun ouvrage d'art seront laissées en blanc, soit que ces dernières parties se trouvent alignées ou ne le soient pas encore ». 
Ainsi, on retrouvera dans « notre » Indicateur fidèle coloriées au lavis, toutes les grandes routes royales, les cours d'eau et les forêts traversés, les villes d'étape et certains autres lieux rencontrés durant le voyage : villages, hameaux, fermes, moulins, cabarets. 
 

Cet essor du réseau routier à des fins « administratives » a contribué à développer les échanges commerciaux évidemment mais aussi à instiller l’idée du voyage dans les têtes, à tout le moins dans dans celles des classes aisées. 
A cet effet, le guide accompagne chacune des cartes d’un descriptif indiquant : l’heure de départ de Paris, le nombre de jours de route d’un point à un autre, les services de voitures publiques (diligences, carrosses, coches ou fourgons), les haltes où il y a dînée et / ou couchée, et enfin la distance en lieues entre Paris et la destination dont la complexité du calcul laisse pantois « […] l’on voit que Lyon est suivant La méridienne de Paris à la hauteur de 70 lieues et qu’il est éloignée de la même méridienne de 30 lieues, ce qui forme un rectangle dont l’hypoténuse est la distance que l’on cherche et qui se trouve par la racine carrée être de 80 lieues ou 100 lieues parisiennes. » CQFD
Malgré ces savants calculs, le Languedoc était encore une zone blanche en 1780, lacune comblée notre édition de 1785 où la XVIIIe feuille indique que l’on peut rallier Carcassonne par Toulouse (plus de 15 jours de route depuis Paris) et Narbonne par le « Chemin d’Alby ».
 

L’ouvrage se voulait maniable : il proposait les cartes reliées sur une série d’onglets, détachables facilement ; le voyageur pouvait ainsi acheter uniquement celles qui l’intéressaient.


L’observation de ces cartes offre un regard amusant sur les déplacements en France au XVIIIe siècle et nous permet de noter que le dessin du réseau d’alors est encore en vigueur aujourd’hui.
 

A noter pour compléter ce voyage sur les routes du 18e siècle, la bibliothèque de Léon Nelli offre la possibilité de le poursuivre en mer avec l'ouvrage publié en 1766 par le même éditeur : Côtes maritimes de France. 50 cartes. Paris, Desnos. In-4°, 50 f° [cote N° 113].