Archives départementales, Culture

Petites histoires d'archives #4_Des villages en temps de  guerre : cahiers d’instituteurs audois 1914-1918

© AD AUDE

Dès le début de la Première Guerre mondiale, l’historien Charles Petit-Dutaillis, alors recteur de l’académie de Grenoble, a l’idée de demander aux instituteurs primaires des villes et villages de son ressort de conserver soigneusement les traces de la période historique exceptionnelle qui s’ouvre alors.

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Une collecte d'informations inédite

Cet appel est ensuite repris par le Ministre de l’Instruction publique, le parlementaire audois Albert Sarraut, qui l’étends alors à l’ensemble du territoire national. Tous les enseignants demeurés à leur poste doivent alors scrupuleusement «tenir note de tous les évènements auxquels ils assistent». 

Pour ce faire, le ministère fournit aux instituteurs une liste de rubriques et un certain nombre de conseils de méthode. Dans la plupart des communes françaises, situées loin du front, les maîtres d’école peuvent ainsi évoquer la mobilisation, l’esprit public, l’administration communale, la vie économique et notamment les travaux agricoles, le ravitaillement, l’assistance ou encore les hôpitaux.

On les incite aussi à évoquer précisément les soldats de la commune qui combattent pour la patrie et à rendre hommage aux morts et aux blessés. On leur demande toutefois de ne faire état que d’informations sûres et contrôlées, et d’établir leur travail en deux exemplaires, dont un restera à l’école tandis que l’autre sera déposé dans les collections des Archives départementales.  

Des circulaires ministérielles plus tardives leur demanderont également de collecter la tradition orale et de rassembler autant que possible la documentation non officielle publiée pendant le conflit (prospectus, tracts, chansons, affiches, journaux, cartes postales, …).


Dans l’Aude, même si les prescriptions du double exemplaire et du dépôt aux Archives n’ont pas été suivies, ces volontés nationales nous valent aujourd’hui l’existence de plus de vingt journaux d’instituteurs, aussi appelés « livres d’or », inégalement répartis sur le territoire départemental. La plupart sont rédigés sur des cahiers d’écolier et portent en couverture le nom de la commune concernée. Ils présentent néanmoins une grande variété dans leur forme et dans leur importance.

Ainsi le cahier des Martys ne comporte que quelques pages, tandis que celui de Cenne-Monestiès s’avère particulièrement riche et étoffé. La plupart sont « illustrés » ou du moins complétés avec divers documents collés entre les lignes : photographies, cartes postales, lettres, télégrammes, tickets de rationnement, affichettes, … Nombre d’entre eux recèlent une partie relative aux Poilus mobilisés, aux morts et aux blessés, dont les faits de guerre sont soigneusement restitués.


S’ils s’intéressent évidemment aux évènements du front et aux soldats qui s’y trouvent, les cahiers d’instituteurs composent surtout une chronique détaillée de la vie à l’arrière, dans des villages où la vie quotidienne se trouve totalement perturbée par l’irruption du conflit et de ses conséquences. Au plan local, entre journées de solidarité et accueil des réfugiés du Nord et de l’Est, les renseignements fournis sont très variés.

L’instituteur d’Homps mentionne ainsi plusieurs données météorologiques, comme le gel total du Canal du Midi, le 5 janvier 1918, interrompant toute circulation, même celle des tramways à vapeur. Pour les ruraux, l’économie de guerre semble surtout marquée par deux traits principaux : le manque de main d’œuvre agricole et la hausse des prix.

L’instituteur d’Airoux relate ainsi l’indispensable solidarité qui prévaut lors des moissons de 1914 : « Les gerbes sont dans les champs. Tous les disponibles allons tantôt chez l’un, chez l’autre, gerboyer. Les dépiquaisons arrivent : on s’aide de campagne en campagne et petit à petit le travail se fait ».

De même, celui des Martys en Montagne Noire, fournit une bonne image de cette situation inédite : « Les travaux de la moisson du seigle étaient presque terminés au commencement d’août. Il restait à moissonner quelques champs de blé… et quelques champs d’avoine. Vu leur peu d’importance, ces travaux ont été effectués assez facilement. Il n’en a pas été de même en ce qui concerne les foins. Faute de personnel, certaines prairies n’ont pu être fauchées. Quant au battage, il s’est effectué comme à l’ordinaire, sauf que le personnel masculin a été remplacé, en partie, par un personnel féminin ».

Enfin, à Payra-sur-l’Hers, le maître d’école évoque la cherté des denrées, la concomitante raréfaction de la monnaie métallique et l’apparition des monnaies de substitution : « Le lendemain de la mobilisation, comme partout, on ne trouve plus de monnaie. L’or, l’argent se cachent, l’or surtout. Dans le village, on trouve plus de billets de 1 F et de 0,50 F de la chambre de commerce de Toulouse que de celle de Carcassonne ».


Chroniques villageoises des temps de guerre, les cahiers d’instituteurs ne sont pas exempts de propagande et comportent assez peu de traces de non-conformisme. Ils n’en constituent pas moins une remarquable source historique, même fragmentaire, sur l’histoire des communes audoises et du département pendant la Guerre 1914-1918.

Souhaitons d’ailleurs que de nouveaux cahiers, retrouvés ici ou là, viennent encore compléter une collection déjà fort riche et intéressante.

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