Dans la bib' à Léon #13 Nadal, nouè et autres noëls

Lettrine représentant la Nativité (détail), f° 10 v°. Extrait de Evangéliaire de l’église Saint-Nazaire et Saint-Celse de Carcassonne, s.d. [fin XIIIème - début XIVème siècle].
15 Fi 3 - Lettrine représentant la Nativité (détail), f° 10 v°. Extrait de Evangéliaire de l’église Saint-Nazaire et Saint-Celse de Carcassonne, s.d. [fin XIIIème - début XIVème siècle]. Document conservé aux Archives départementales de l’Aude, G 288. Diapositives couleurs, 24 × 36 mm. © AD11_15Fi3

Le sujet de ce 13e épisode, dicté par la perspective des festivités de décembre, nous conduit à explorer un corpus de texte assez conséquent de la « Bib’ à Léon » : les noëls. Cette présence étonne car, d’après ce que sa collection d’ouvrages laisse percevoir, Léon ne semblait pas spécialement porté sur le christianisme, ni sur ses pratiques. Cependant, les noëls, au-delà de cantiques destinés à célébrer l’arrivée du fils de Dieu sur terre, étaient révélateurs des préoccupations et des coutumes de leurs temps. Léon Nelli, en véritable « anthropologue du quotidien audois » de la seconde moitié du XIXe et du début du XXe siècle, a ainsi réuni, parmi les quelque 3000 volumes de sa bibliothèque, une sélection de noëls occitans remarquables.

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Des noëls pour fêter Noël dans l’Eglise…

Noël n’est pas toujours tombé un 25 décembre. D’ailleurs, la bible ne mentionne pas de date de naissance du Christ, en tout cas pas jusqu’au IVe siècle, période durant laquelle le christianisme s’est imposé. Avant cela, on fêtait le soleil à l'époque du solstice d'hiver, en attendant des jours meilleurs ou à tout le moins qu’ils rallongent...  La fête chrétienne et la fête païenne ont probablement coexisté, la deuxième ayant probablement influencé la première. Au Moyen Age, le peuple, qui vivait « la vie de l’église », préparait cette fête avec les ecclésiastiques, décorait les édifices et chantait avec eux des hymnes liturgiques… Du moins tant qu’il comprenait le latin d’église ! Peu à peu, le latin populaire s’est éloigné du latin d’église et pour que les offices restent compréhensibles par le «commun des mortels», on agrémentait les textes de «farces» ou farcitures en patois. En conséquence, les chants se déclinaient en fonction des régions.
 

… et surtout hors de l’Eglise !

La vogue des noëls prend son essor aux XIIIe et XIVe siècles et connait son apogée entre le XVIe et le XVIIIe siècle, notamment avec le développement de l'imprimerie en France. Les noëls sont imprimés sur des feuilles volantes ou, parfois aussi, dans des recueils diffusés par la Bibliothèque bleue de Troyes. A partir du XVIIe siècle, la naissance de Jésus n’en est plus le sujet unique et même si les Jésuites veulent « tarir ce fleuve honteux » en lui opposant des cantiques, ceux-ci perdent peu à peu leur caractère liturgique. Les noëls évoquent alors des particularités locales, des anecdotes ou des personnages connus. Dans la revue Folklore de l’automne 1979, Roger Nègre se rappelle le texte d’un noël dont le dernier couplet, par les noms des fermes évoquées, est une allusion évidente à Alzonne : 

En Jean, en Douminico,
En-Tichèire, Cairol,
Tout dreit s'enbana Aizouno,
Perèsse das prumiès...
Et le Puget, qu'estout soulet
AIbord de la ribièro,
S'esatrapat, s'esrancountrat
Amb'el de las Sesquièros..

Les noëls se déclinent également par genre : noëls lyriques ou sentimentaux, épiques, énumératifs, naïfs à la manière de contes très simples, savants à strophes régulières et savamment rimées, facétieux (très prisés par Mgr de la Bouillerie, évêque de Carcassonne !), dialogués… Notons au passage que dans ces derniers, les anges, les nobles, Marie, Joseph… chantent en français, tandis que les bergers et les fidèles chantent en langue d’oc. Les noëls sont désormais interprétés dans les veillées plus que lors des offices … et parfois même contre un verre ou une pièce ! Les compositions sont remaniées au fur et à mesure qu’évolue la langue et la communauté qui se les transmet. 
« Issu du peuple », de tradition orale, ancré dans un lieu, le genre commence ainsi à faire partie du folklore. De fait, les noëls français ont rencontré moins de succès car ils ne permettaient pas une identification aussi forte que ceux écrits en patois.
 

Loin de la prosodie, la parodie

Les religieux « vivant dans le siècle » proches de leurs ouailles sont parmi les plus grands fournisseurs de noëls. Anonymes pour la plupart, quelques auteurs occitans sont toutefois connus et figurent dans la bibliothèque de Léon comme les provençaux Nicolas Saboly et Gautier de Marseille, un des pères de l’Oratoire provençal, ou les audois Jean Cazaintre (curé de Saint-Papoul puis prébendé de la cathédrale de Carcassonne, prête réfractaire et poète en langue d’oc) et Antoine Nérié (curé d’Alzonne, déjà évoqué dans un précédent épisode).
L’absence de notation musicale est une autre des caractéristiques des recueils de noëls ; il était seulement précisé le timbre, c’est-à-dire le titre ou les phrases de la chanson dont la mélodie était reprise. Parodier des airs connus permettait à la fois de garantir un certain succès et de faciliter la mémorisation du chant. La musique s’est ainsi adaptée aux différentes époques en fonction des airs les plus populaires. 
Le recueil de « Nouès » de Cazaintre en est une belle illustration. On y retrouve sous le titre l’indication des airs de Malbroug s’en va-t’en guerre, Un jeune troubadour, Lise chantait dans la prairie, Charmantes fleurs et Estelle, pour interpréter les différents chants.
 

Nouès dé J. C., r. dé S. P., dioucéso dé Carcassouno. Carcassonne, Teissié. In-12°, 32 p. 1810.N° 1538/10

Les noëls, futiles hier, utiles aujourd’hui.

Sans l’enquête destinée à recueillir les chansons populaires des différentes régions de France, lancée en 1852 par Hippolyte Fortoul, alors ministre de l’instruction publique, les noëls seraient peut-être tombés dans l’oubli. Comme l’indique Lucie Jacquin dans son mémoire sur les noëls bourguignons, les noëls ont souffert longtemps de la réputation d’être « des pièces de piètres qualités et sans originalité ». Aujourd’hui, ils constituent une précieuse source de renseignements pour les historiens car « ils ont gardé la trace de chansons populaires, de vaudevilles, de plain-chant perdus ou oubliés » ; particulièrement les noëls en patois qui renseignent sur les mentalités et les évènements des lieux où ils ont été composés.

Noëls nouveaux pour l'année 1826. Carcassonne, Gardel-Teissié. In-12°, 8 p. s. d., N° 1538/8

Bibliographie

Courte sélection de noëls

  • Li nouvé de Saboly, de Peyrol et de J. Roumanille, em'un bon noumbre de viei nouvé que se canton en Prouvenço. Avignon, J. Roumanille, 1873. In-12°, 160 p. (rel.). (N° 753)
  • Saboly (Nicolas).- Recueil de Noëls provençaux. Nouvelle édition, augmentée du Noël fait à la mémoire de M. Saboly et de celui des Rois, fait par J. F. Domergue, doyen d'Aramon. Avignon, Offray aîné, 1845. In-12°, 132 p. (N° 754)
  • Saboly (Nicolas).- Recueil de noëls provençaux composés par... Nouvelle édition augmentée… Avignon, J. Chaillot, 110 p. (1791). Suivi de : Nouveau recueil de noëls sur des airs connus et faciles. Avignon, A. Aubanel, 42 p. (1803). Suivi de : Peirol.- Recueil de noëls provençaux composés par… Nouvelle édition revue et exactement corrigée. Avignon, J. Chaillot, 142 p. (1791). 2 volumes reliés en 1. (N° 1326)
  • [Gautier (J. Jacques, père de l'Oratoire)].- Cantiques spirituels à l'usage des missions de Provence, en langue vulgaire. Nouvelle édition augm. et rétablie sur l'original. Marseille, J. Mossy, 1756. In-12°, 426 p. (rel). (N° 1281)
  • Nouès dé J. C., r. dé S. P., dioucéso dé Carcassouno. Carcassonne, Teissié, 1810. In-12°, 32 p. (N° 1538/10)    
  • Manuel selon le rit narbonnais, pour les offices de Noël, du jour des Rameaux et de la Semaine Sainte, les processions et bénédictions de l'année… Nouvelle édition rev. et corr. Narbonne, F. Caillard, 1836. In-12°, VII-628 p. (grav., rel. plein cuir). (N° 1243).
  • Noëls nouveaux pour l'année. Carcassonne, Gardel-Teissié, 1826. In-12°, 8 p. s. d. (N° 1538/8)
  • Hymnes et cantiques à ajouter au recueil de divers chants d'église, en vers patois. Carcassonne, Labau, s. d.. In-12°, 47 p. (N° 1538/11)
  • Nalis (Jean-Baptiste).- Cantiques, noëls et autres ouvrages en vers, partie en françois et partie en langue vulgaire, de la ville de Beaucaire, composés par un de ses habitants. Suivi de : Nalis (Jean-Baptiste).- Instructions simples et catholiques, toutes en vers patois… Arles, J. Mesnier, 1769. In-12°, 271-56 p. (rel.). (Cote N° 1280)

Pour en savoir plus sur les noëls :

  • Jourdanne (Gaston).- « Littérature populaire et traditions légendaires de l'Aude ». Extrait de Mémoires de la Société des Arts et Sciences de Carcassonne, 1900. In-8°, 208-IV p. (N° 405)

Dans la bibliothèque des Archives

  • Au risque de Babel : le texte religieux occitan de 1600 à 1850 / Jean Eygun ; préf. Régis Bertrand. - Bordeaux : Association d'étude du texte occitan, 2002. - 533 p. (D°3262)
  • Traditions populaires du Lauragais : de villes en champs / Paul Fagot ; présenté par Jean-Pierre Piniès. - La Rochelle : La Découvrance, 2006. - 354 p. - (L'amateur averti). (D°3575)
  • Les vieux noëls / Abbé Cunnac. – Carcassonne : Imprimerie Victor Bonnafous-Thomas, 1908. 32 p. (Q°2545)