Dans la Bib' à Léon #8 Antoine Nérié, prêtre et poète en patois

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A l’approche de Noël, nous nous sommes plongés dans la bibliothèque de Léon avec l’idée d’y trouver des noëls occitans. Il y en a, en effet ! Parmi ceux-ci, les cantiques de l’abbé Antoine Nérié, qui ne sont qu’une infime partie de sa production écrite.

 

Cette chronique vous est présentée dans le cadre de la série Dans la Bib' à Léon.

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« L’apôtre jovial »

Né à Saint-Couat d’Aude le 4 décembre 1745, Antoine Nérié fut «avant tout» le curé d’Alzonne de l’âge de 32 ans jusqu’à sa mort en 1824. «Il a des mœurs et de l’esprit» d’après Monseigneur de La- porte, évêque de Carcassonne à l’époque, «un excellent cœur, des mœurs simples et un caractère fort enjoué […] se faisait remarquer par des réparties piquantes et spirituelles» selon Saturnin Léotard, bibliothécaire, passionné de littérature occitane, félibre et éditeur des lettres et poésies de l’abbé Nérié en 1876. Le portrait ainsi fait de cet homme explique pourquoi il faisait l’unanimité chez ses paroissiens, une «vedette» même, s’avance l’abbé Joseph Courrieu dans la revue Folklore de l’été 1981. Le principal intéressé trace toutefois plus sobrement son autoportrait, se décrivant comme un prêtre qui «chante faux mais dont le cœur supplée le talent».

En occitan dans le texte

A la Révolution, le décret du 27 novembre 1790 porte obligation à tous les «fonctionnaires publics du culte catholique» de prêter individuellement serment de fidélité à la Constitution, ce à quoi se pliera l’abbé Nérié en 1793. Peu après, il se retirera dans sa famille pour ne revenir à Alzonne qu’en 1803 après s’être rétracté.
Son retour à Alzonne marque sa ferme résolution de mettre en œuvre ce qui lui tient à cœur : rendre accessible la poésie des cantiques, des psaumes, des hymnes et des chants liturgiques à ses paroissiens, qui ne parlent ni ne comprennent le latin. Il s’attelle donc à la traduction des textes sacrés mais aussi à l’écriture de discours, de poèmes et de correspondances : tout sera prétexte à écrire en occitan ! Une propension qui peut se heurter aux préjugés de l’aristocratie et de la bourgeoisie locales, pour qui la langue d’oc est une langue populaire donc moins savante… Ainsi, selon une anecdote, la vicomtesse de Pins lui confia le soin d’écrire un cantique (en français aurait-elle précisé) consacré à sainte Madeleine, patronne de la chapelle de Pezens. Mais, l’abbé Nérié ne trouva l’inspiration qu’en occitan. La vicomtesse s’offusque, l’abbé s’en excuse et argumente… toujours en occitan !
Aquo’s aqu’ò, mas que faire ?
Parlarai como ma maire :
Voli gardar mon brevet.

(S’il en est ainsi que faire ! Je veux parler comme ma mère ; je veux garder mon brevet [de poète patois]).
Néanmoins, sa renommée s’étend jusqu’à Cambrai, où son ami Louis Belmas assure la charge d’évêque et avec lequel il entretient une correspondance nourrie.
 

Ecrire, prêcher en occitan : une nécessité pastorale

«Ces chants [patois] contribuent pour leur part à la sanctification du dimanche, en attirant les paroissiens, surtout de la classe du peuple, aux catéchismes et aux offices de l’après-midi et nous fournissent un moyen d’instruction d’autant plus appréciable qu’il va droit au but, sans avoir l’air d’une leçon». Ainsi, l’abbé Nérié traduit en occitan les chants d’églises, pour lesquels il conserve la notation musicale du latin. Une première édition du Recueil de divers chants d’église en vers patois paraît en 1820. Cet ouvrage est dédié à Mgr de Laporte, son évêque, signataire d’une lettre adressée aux vicaires et curés de l’ancien diocèse de Narbonne, dans laquelle il reconnait «la nécessité de faire les sermons et les commentaires dans les paroisses locales en langue vernaculaire», faisant même obligation aux prêtres de «se servir sans parcimonie de la langue occitane». Cette approbation du prélat est fidèle aux bases de la Contre-Réforme : «tous ceux qui ont charge d’âme doivent enseigner aux fidèles ce qu’ils doivent savoir pour le salut de leur âme en langage facile». Dans l’Aude, à la fin du XVIIIe siècle, la langue occitane se trouve particulièrement promue par les curés qui, comme l’abbé Nérié, sont pour la plupart «issus du peuple». Parmi ceux-ci, citons l’abbé Revel, curé de Villemagne et ses Récréations de moussu l’ritou et de las brabos gens
Louis Belmas (1757-1841), originaire de Carlipa, évêque constitutionnel de l’Aude, auteur de poésies également, mais dont peu ont été éditées ; François-Xavier Pinel (1764-1837) curé de Saint-Vincent de Carcassonne et ses Noëls nouveaux pour 1826, Philippe Samary (1731-1803) auteur d’un Noël Languedocien en 1765 ou encore Jean Cazaintre (1758-1830) et son Noué des bargaïres.

 

Une table des matières fournie

Le Recueil de divers chants d’église en vers patois comporte de nombreuses traductions et imitations d’hymnes, de proses, de psaumes, des chants joyeux (Noëls), des cantiques, avec en fin d’ouvrage des indications sur la façon dont il convient de les chanter et sur les airs utilisés. Il a fait l’objet de nombreuses rééditions jusqu’en 1827, à chaque fois enrichies de nouvelles traductions, imitations ou compositions. Ce considérable travail témoigne d’une parfaite maîtrise des textes en latin, mais aussi des sonorités et de la langue occitane. D’autant que, contrairement à d’autres prêtres, l’abbé Nérié ne fait aucune concession au français, car ses textes, cantiques ou autres discours ne sont pas parsemés de termes français ou francisés. En outre, il s’efforce de simplifier la graphie «pour rendre plus facile la lecture du patois, je m’étais d’abord proposé d’écrire les mots en toute lettre, comme en français […] mais les élisions dans le patois sont si fréquentes, et je pourrais dire, si bizarres que j’ai craint de trop dépayser les enfans que je dois avoir principalement en vue».

A propos des autres écrits 

On lui prête également Le Recueil contenant les proses et hymnes des heures de Carcassonne, en vers patois et avec les mêmes airs du latin, … par un ecclésiastique du diocèse de Carcassonne. Mais, pour l’historien Jean Eygun, il s’agit bien de deux auteurs différents, la «facture» de l’auteur anonyme lui paraissant beaucoup plus savante que les travaux de Nérié. Néanmoins, l’auteur anonyme expose dans son introduction le même souci que Nérié de mettre la liturgie à la portée de tous, tout en restant le plus fidèle possible à la langue d’origine. Il invoque lui aussi le souhait que les autres prêtres ou personnes en charge de l’instruction «du peuple» se saisissent de son travail de vulgarisation dans le cadre de leur mission d’enseignement. 

Au-delà de ces textes, destinés à faciliter l’enrichissement spirituel des paroissiens, Antoine Nérié a aussi écrit des poésies «légères, fines souriantes et truculentes» qui le placent, selon Saturnin Léotard ou encore Achille Mir, au rang de précurseur du félibrige…
Se jamai la mosca me pica 
Per faire qualqu’autra cançon,
Tornaretz aver ma pratica
Ara se cal pausa’n bricon.

(Si jamais la mouche me pique de composer quelque autre chanson, vous aurez à nouveau ma pratique, pour le moment reposons-nous un peu !)
 

Bibliographie

Dans la bibliothèque de Léon Nelli

  • Recueil de divers chants d'Eglise en vers patois dédiés à monseigneur l'évêque de Carcassonne./ [Nérié (curé d'Alzonne)].- Seconde édition revue et considérablement augmentée. Carcassonne, F. Arnaud, 1821. (Cote N° 1405)
  • Recueil contenant les proses et hymnes des heures de Carcassonne, en vers patois et avec les mêmes airs du latin,… par un ecclésiastique du diocèse de Carcassonne. Carcassonne, B. V. Gardel-Teissié, s. d. (Cote N° 1283) 
  • Essai de poésie sur des sujets divers, avec quelques notes sur Delille, sur Vida et Le Tasse / Jean Cazaintre (abbé). - Carcassonne, C. Labau, 1828. (Cote N° 549)

Dans la bibliothèque des archives départementales

  • Lettres et poésies inédites de l’abbé Nérié publiées d’après les manuscrits autographes. / Saturnin Léotard.- Montpellier, Impr. Centrale du midi, 1876. (Cote Q° 375)

A noter que ces textes, publiés dans la Revue des langues romanes des 1er janvier 1875 et 1er janvier 1876 sont consultables sur le site Gallica à l’adresse suivante

  • Au risque de Babel : le texte religieux occitan de 1600 à 1850 / Jean Eygun ; préf. de Régis Bertrand. – Association d’étude du Texte Occitan, 2002. (Cote D° 3262)
  • Occitan, Occitanie : exposition présentée aux Archives départementales de l'Aude du 14 février au 30 juin 2017 / Archives départementales de l'Aude, éds ; Institut d'études occitanes, collab. – Carcassonne : Conseil départemental de l'Aude, 2017 (cote E° 1799)

Parmi les publications

  • Roger Nègre, « Complément à une réponse faite à un questionnaire de M. Gérard Cholvy sur l’Occitan à l’Eglise au XIXe siècle. », Folklore, 1974, tome XXVII, p. 16-22 (Cote 22 PER 9)
  • Abbé Joseph Courrieu, « Un poète populaire, précurseur du Félibrige : l’abbé Antoine Nérié, curé d’Alzonne de 1777 à 1824. », Folklore, 1978, tome XXXI, p. 2-13 (cote 22 PER 10)
  • Abbé joseph Courrieu, « Alzonne, berceau du Félibrige Audois. », Folklore, 1981, tome XXXIV, p. 13-15. (Cote 22 PER 12)
  • Anthony Chanaud, « Le clergé audois face à la Révolution : histoire et mémoire d’une époque troublée. », Annales du Midi, 2017, tome 129, p. 535-549.

A noter, que la revue Folklore est consultable en ligne sur le site du GARAE