Dans la bib' à Léon #14 - Hercule Birat : le chansonnier Narbonnais

Hercule Birat © ©AD11_13FI00001_027

« Frontières » tel est le thème de la présente édition du Printemps des poètes. Inscrire ce nouvel épisode de la Bib’à Léon dans cet évènement était facile, tant la bibliothèque de Léon Nelli compte de poètes occitans. Mais, paradoxalement, notre choix s’est porté sur un homme qui a très peu franchi les frontières de Narbonne, sa ville d’origine : Hercule Birat, surnommé « le chansonnier narbonnais » par Gaston Jourdanne, érudit carcassonnais passionné par la littérature d’oc. Les textes de cet auteur, qui se voulait amuseur, laissent un portrait suranné, mais aujourd’hui précieux, de cette ville au 19e siècle.

Publié le

Une vocation tardive

« Ma prose embrasse une bonne partie de l’histoire de Narbonne. A tort ou à raison, j’ai cru que ce travail qui m’a beaucoup couté, ne serait pas sans intérêt pour eux [ses lecteurs], et que je ferai bien de mêler dans mon ouvrage l’utile à l’agréable, surtout si par un tour de force bien difficile à faire, l’utile pouvait rivaliser de gaité, malgré le sérieux du fond avec l’agréable ».  


Ainsi Hercule Birat décrit-il son œuvre. Narbonne est en effet, plutôt que sa source d’inspiration, son principal sujet d’étude. De sa naissance en 1796 à sa mort en 1872, il ne s’en est guère éloigné, hormis pour un détour par Toulouse où il fait des études de droit (pour succéder à son père, avoué), une incursion dans la Marine (qu’il est contraint de quitter pour cause de révolte politique), un passage à Homps où il tente de reprendre la propriété agricole familiale (sans talent, ni conviction). Il s’installe « définitivement » à Narbonne en 1848, où il se consacre à l’écriture et plus particulièrement à la poésie.


« J’ai joué dans mon enfance au prêtre, au soldat ; dans mon adolescence au marin, au tribun, à l’avocat, au géomètre ; dans mon âge mûr à l’agriculteur, sans entrer résolument dans aucune de ces carrières et m’être donné un état ; sur mon déclin, et par le fait de la révolution de 1848, je joue depuis neuf ans au poète ». 
 

Une muse joviale et provinciale

Sa poésie s’exprime de différentes manières : chansons, contes, épopées, dialogues, vers, fables, récits empruntés aux traditions légendaires, chansons politiques composées lors de la Révolution de 1848 . Son projet littéraire est avant tout d’aller à l’encontre de la mode édictée par «Paris qui donne le ton en tout et pour tout » et qui, à cette époque-là, a mis à l’index les genres cités plus haut, destinés à amuser le lecteur… Birat lui se plait à apposer sur ses publications : « tous les genres sont bons, hors le genre ennuyeux ». 
Epigraphe qu’il complète sur ses Poésies Narbonnaises par un autre :

De cet épais recueil le mérite est bien mince
Parbleu, ce sont des vers fabriqués en province !
Ils ont un autre tort, celui d’être badins.
Quoi, par le temps qui court ! Pauvre auteur, je te plains ;
Car, d’après Lamartine et sa secte mystique, 
Le rire abaisse l’âme et n’est pas poétique ;
Même dans La Fontaine, il est futile et bas ;
Il médit, il persiffle, et ne console pas.

Certes, ledit recueil est épais ! Les deux volumes des Poésies Narbonnaises ne comptent pas moins de 1534 pages dont le sous-titre donne le ton « en français ou en patois, suivies d’entretiens sur l’histoire, les traditions, les légendes, les mœurs, etc., du Pays Narbonnais ».
Si l’ensemble apporte une somme considérable de renseignements sur la vie à Narbonne et le quotidien des narbonnais au XIXe siècle, la qualité et le contenu de ses textes ne font pas l’unanimité, à tout le moins ceux composés en français.
 

Le fond et la forme

Le contenu tout d’abord. Souvent satirique, il heurte les personnalités locales et parmi celles-ci les membres des sociétés savantes : « On a ri et l’on rira encore de leur composition, de la paresse de leurs membres, du peu d’utilité de leurs travaux, de la mauvaise application des fonds dont les dotent le gouvernement, le département, les communes et les particuliers » . Evidemment, ces propos ne lui ont pas permis d’être élu très tôt à la Commission archéologique de Narbonne et quand cela a été, de n’y rester que trois ans ! 

La qualité ensuite. « On y trouve de tout [..] mais tous ces bavardages empreints des susceptibilités du moment, ne nous émeuvent guère ; nous abandonnons volontiers aussi les poésies françaises qui ne dépassent guère le niveau d’une très ordinaire médiocrité, pour nous en tenir aux poésies languedociennes ». Critique, Gaston Jourdanne, est rejoint dans ses appréciations par Paul Albarel, fondateur de la revue félibréenne La Cigalo Narbouneso. Selon ce dernier, « Le sermon du Père Bourras » qui, après être passé par les plumes de Joseph Roumanille, Alphonse Daudet, Achille Mir ou encore Auguste Fourès deviendra célèbre sous le titre « Le Sermon du Curé de Cucugnan », même si Hercule Birat en fut « l’inventeur », « a fait de peu de bruit en son temps ; ajoutons de suite qu’il est sans grande valeur littéraire ». Jourdanne ajoute : « il est seulement regrettable qu’il ait écrit en français. S’il eut fait usage de ce vers patois de huit syllabes, alerte et rapide qu’il maniait si bien, il eut certainement donné un pendant à la Gragnotto de Sant-Paul ». 
En effet, la critique littéraire de l’époque et encore quelques mémoires d’aujourd’hui louent les pièces écrites en occitan telles que la Naïssanço de Jacques premié, rei d’Aragon ou plus encore les Dialogos éntré la Montagnodé Minerbo dito Mountaut è lou Pic dé Noré et la légende fameuse de la Gragnoto citée plus haut, toutes deux tirés de l’histoire locale. Là, Jourdanne s’emballe : le 1er récit «ne manque pas de vivacité» ; le second devient «fort intéressant» et le 3e se révèle «tout bonnement délicieux !».

La Gragnotto dé Sant-Paul

« Nul n’est prophète en son pays »

Curieusement, alors qu’il est très critique envers le monde littéraire parisien, c’est pourtant de la presse parisienne que Birat obtiendra les plus vifs éloges. Fernand Lagarrigue dans La Revue critique des livres nouveaux du 1er juin 1862 s’enflamme :  « M. Birat est un homme d'esprit, il est aussi un de ces types de plus en plus rares qui cherchent encore à tenir allumé, au milieu d'une population commerçante et par trop matérialiste, le pur flambeau de l'art. Il sert l'autel des muses, parce qu'il les aime pour elles-mêmes et non pour acquérir ni réputation ni argent».

La virtuosité d’Hercule Birat à manier l’écriture « en patois », associée à sa connaissance des traditions populaires, le placeront dans certains esprits comme l’ancêtre du félibrige narbonnais. Cette reconnaissance de ses « compatriotes » ne lui viendra qu’à la fin de sa vie… Pas sûr qu’il s’en fut ému tant que cela.
 

Bibliographie

Dans la bibliothèque de Léon Nelli

  • N° 796-797    Birat (H.).- Poésies narbonnaises en français ou en patois, suivies d'entretiens sur l'histoire, les traditions, les légendes, les mœurs, etc. du pays narbonnais. 2 tomes. Narbonne, E. Caillard. In-12°.    1860
    • N° 796    Tome 1. XLVIII-706 p. Avec une lettre manuscrite de l'auteur datée d'août 1865.
    • N° 797    Tome 2. 828 p.
  • N° 1515/21    Birat (Hercule).- Une nouvelle étoile télescopique, satire dialoguée contre l'auteur des poésies narbonnaises. Paris, M. Lévy ; Narbonne, Caillard. In-8°, 64-19 p. 1867. 2 exemplaires (Egalement accessible en ligne sur Gallica  
  • N° 1514/3    Albarel (P.).- L'inventeur du sermon du "curé de Cucugnan". Narbonne, A. Brieu. In-8°, 14 p. 1927.

Dans la bibliothèque des Archives

  • Hercule Birat et Narbonne (1796-1872). Catalogue de l'exposition organisée dans le cadre du "Temps des livres" du 12 octobre au 2 novembre 1996 à la Bibliothèque municipale / Maryse Tisseyre, Daniel Alibert. - Narbonne : municipalité de Narbonne, 1997. - 49+32 f.     [C°640]
  • JOURDANNE (Gaston) : « Quelques mots sur la littérature languedocienne à Narbonne du XVIIe au XIXe siècle ». Dans : Bulletin de la Commission Archéologique de Narbonne, 1892, 1er semestre, p.493-518. [19PER4]

Accessibles en ligne

Sur Gallica

Bibliographie languedocienne de l'Aude / Gaston Jourdanne. - Carcassonne : bibliothèque de la Revue méridionale, 1896. IX-24 p. ; gr. in-8

Sur la chaîne Youtube du CIRDÒC-Mediatèca occitana

Narbona : la granhòta de Sant Pau VOSTFR - Occitanica eAnem / CIRDOC