Archives départementales

Petites Histoires d'archives #2 Le «curé chroniqueur» de Villarzel-Cabardès

© AD Aude

Phénomènes naturels, catastrophes, visites de personnalités : découvrez, avec le registre paroissial de Villarzel-Cabardès au XVIIIe siècle, comment ces événements impactent nos territoires sous l’Ancien régime.

Cette chronique est proposée dans le cadre des Petites Histoires d'Archives, retrouvez chaque semaine une nouvelle histoire et découvrez d'autres histoires ici

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Sous l’Ancien Régime, les curés de paroisse sont non seulement des ministres du culte, mais aussi de précieux auxiliaires pour les pouvoirs civils. Ils tiennent ainsi les registres paroissiaux, où sont enregistrés les baptêmes, les mariages et les décès ; jouent parfois les notaires pour enregistrer des testaments et sont chargés de communiquer à leurs ouailles les avis, arrêts et autres déclarations du pouvoir royal lors du prône dominical.

Parfois, selon l’expression de l’historien breton Alain Croix, ils se transforment aussi en journalistes, ou en chroniqueurs, et relatent à travers leurs registres divers évènements exceptionnels ou marquants qui ont perturbé le quotidien de leur communauté, urbaine ou villageoise.

En Languedoc comme ailleurs, entre Renaissance et Révolution, les paroissiaux fourmillent donc d’annotations les plus diverses, et d’importance inégale, relatives :

  • à des évènements climatiques (chutes de neige et de grêle, sécheresses, tornades),
  • à des catastrophes (guerres, incendies, inondations),
  • à des phénomènes naturels (éclipses, comètes),
  • à des visites ou passages de personnages importants (rois, princes, évêques),
  • ou à de petits faits, qui peuvent sembler anodins mais ont leur importance au plan local (construction d’une chapelle, mission, fonte d’une cloche).

En 1782, c’est pour porter certains évènements à la connaissance des générations futures (Ad perpetuam rei memoriam) que le curé de Villarzel-Cabardès, petit village au nord-est de Carcassonne, prend la plume. Il entend en effet raconter en détail comment sa paroisse, et les zones environnantes, ont été touchées par une violente épidémie de suette, maladie également appelée fièvre miliaire.

Son témoignage, précis et circonstancié, remplit deux pages du registre de l’année. Il nous fournit la chronologie (automne 1781-août 1782) et la géographie de la maladie (épicentre à Castelnaudary), mais aussi ses caractéristiques (maux de tête violents, forte fièvre avec sudation abondante, éruption cutanée), en n’omettant pas de signaler qu’elle touchait plutôt les gens jeunes. Il indique que près de soixante personnes ont été malades dans sa paroisse, mais qu’on ne déplore qu’un seul décès.

Enfin, il disserte longuement sur les divers moyens utilisés pour la combattre, pour lesquels il reconnaît volontiers que «le traitement de cette maladie n'a pas été uniforme».  

Ces moyens sont d’ailleurs bien pauvres, surtout sur un plan médical, comme le résume finalement notre curé dans une formule à la fois fataliste et lapidaire : « Ceux qui s'en sont le mieux tirés, ce sont les païsans avec des soupes à l'ail et sans les secours de la pharmacie, qui n'a pas connu grand chose dans cette maladie ainsi que dans bien d'autres ».

Enfin, bien que l’on soit à la fin du Siècle des Lumières, les explications, naturelles ou non, de ce triste épisode sont, pour le clergé, toujours les mêmes. En premier lieu, on évoque les aléas climatiques : « la bizarrerie qu'on avait précédemment remarqué dans le tems », avec de brusques écarts de température, une grande sécheresse ou de fortes pluies qui ont gâté les récoltes.

Mais, dans un second temps, c’est bien évidemment « le doigt de Dieu » qui est invoqué, intervention divine corroborée également par certains malheurs militaires de la France. Sous le règne de Louis XVI encore, le discours de l’église et les pratiques qui en découlent imposent donc une réponse à la maladie qui reste avant tout religieuse.

 

En raison du caractère peu lisible du texte original, nous vous livrons ici sa transcription :

 

Ad perpetuam rei memoriam. Cette année doit faire époque par les divers fléaux dont l'humanité a été affligée dans presque tout les environs, mais surtout dans cette province.

Le principal de ces fléaux, celui qui a causé le plus de terreurs, a été connu sous le nom de la suette ou de febris sudatoris milliaris. Ce nom a été donné à cette maladie à cause des sueurs abondantes qu'éprouvaient ceux qui en étaient affligés et qui ont été en très grand nombre, quoique peu aient succombé à cette maladie.

Ici, il n'en est mort qu'un, parmi environ soixante qui ont eu la maladie presque tous en même tems, on a remarqué qu'elle était plus dangereuse pour les jeunes gens et autres sujets d'un tempérament vigoureux, on n'a guère vu de vieillards, ni de valétudinaires, mourir de cette maladie, à moins qu'il ne s'y soit joint quelqu'autre infirmité.

Vers l'équinoxe d'automne 1781, il y eut beaucoup de maladies qu'on titra de fièvres malignes bilieuses.

Les vens y avaient beaucoup de part et il y a apparence que la suette commença alors, mais elle ne fût pas connue. Elle se calma pendant l'hyvers mais vers l'équinoxe du printems elle reprit avec acharnement.

Ce fut à Castelnaudarry qu'elle recommença d'abord mais bientôt après elle se manifesta à Carcassonne, à Toulouse et dans tout le reste de la province, et elle a exercé ses ravages jusqu'au mois d'août mais en s'affaiblissant de jour en jour.

La suette saisissait de la manière la plus traitresse , au moment où l'on se croyait le mieux portant on se sentait frapé sans autre avant-coureur qu'un violent mal de tête et une forte chaleur aux reins, il fallait de suite se mettre au lit, à peine y était-on qu'on se sentait comme dans un brasier ardent, à cette chaleur succédait une sueur des plus abondantes qui durait ordinairement pendant quatre ou cinq jours au bout desquels il se faisait une forte erruption dans tout le corps sur lequel il parraissait une grande quantité de boutons rouges et de la forme des grains du gros millet, ce qui lui a fait donner le nom de febris milliaris.

Après cette première erruption, il s'en faisait quelques fois, vers le septième jour de la maladie, une seconde moindre que la première, mais si cette erruption n'était pas favorisée par des sueurs abondantes et si les sueurs venaient à être interrompues par quelque imprudence, les humeurs morbides faisait subitement dépôt dans la poitrine ou au cerveau et les sujets périssaient de la manière la plus triste quelque fois même lorsqu'on les croyait presque guéris.

Le traitement de cette maladie n'a pas été uniforme, au commencement on défendait rigoureusement de changer de chemise et il fallait passer cinq ou six jours dans une sueur des plus infectes, mais l'expérience fit voir qu'on pouvait changer de linge, tant qu'on voulait, pourvu que cela se fit avec précaution, ce qui soulageait beaucoup les malades.

On voulait aussi dans le principe qu'on gardat la diête la plus austère, mais on reconnut dans la suite que les malades déjà épuisés par des sueurs extraordinaires avaient besoin de quelque confortatif, faute du quel l'erruption ne se faisait pas et les malades périssaient de faim et de faiblesse. Ceux qui s'en sont le mieux tirés, ce sont les païsans avec des soupes à l'ail et sans les secours de la pharmacie, qui n'a pas connu grand chose dans cette maladie ainsi que dans bien d'autres.
Il y a toute apparence que la suette ainsi que l'autre maladie qui lui a succédé sous le nom de Générale, ont été causées par la bizarrerie qu'on avait précédemment remarqué dans le tems et par le passage subit du froid au chaud et vice versa.

La mauvaise espèce des dites années peut aussi avoir contribué à la suette, car les pluyes excessives qui tombèrent en 1781, au moment de la récolte, firent germer les grains dans l'épi et les dénaturrèrrent.

En 1782 la seicheresse a produit presque le même effet avec cette différence que les grains sont d'assez bonne espèce mais en petite quantité, ce qui réuni à tous les autres fléaux fait que cette année est une des plus cruèles pour le peuple. Il faudrait être bien aveugle pour ne pas reconnaître que digitus dei  est  hic, ainsi que dans le peu de succès qu'ont eu nos armées devant Gibraltar, en Amérique et ailleurs."

AD Aude 4E416/1E2