D'un dépôt d'archives à l'autre

Professeur chargé du service éducatif aux Archives départementales de l’Aude il y a quelques années, recherchant des documents pour illustrer le thème du concours de l’Historien de demain portant sur les traces écrites de la Résistance des années 1940-1944, Rémy Cazals, historien, nous explique le caractère inédit de sa découverte.

Récit de Rémy Cazals, historien et ancien professeur chargé du service éducatif aux Archives départementales de l'Aude

 

J’ai découvert dans la liasse 5 M 103 (aujourd’hui 107 W 239) la copie d’un télégramme officiel en provenance du ministère de l’Intérieur de Vichy, daté du 22 août 1941, adressé au préfet de l’Aude comme à tous ses collègues de la zone libre, sauf Toulouse.

En voici le texte :
    « Suis informé tentative diffusion par voie postale notamment région Toulouse d’un tract anonyme imprimé intitulé "Deux lettres" adressé sous enveloppes ouvertes dacthilographiées [sic ; quelqu’un a barré le h et remplacé le i par un y]. Prendre toutes mesures pour empêcher distribution par quelque moyen que ce soit. »


    Sur la feuille, au crayon, se trouve la mention « fait le 24 août 1941 » et la liste des destinataires : les sous-préfets, la Sûreté, les commissaires de police. La même liasse contient des réponses de Carcassonne, Castelnaudary et Limoux en août, septembre et octobre, indiquant que les recherches de l’auteur des tracts n’ont pas abouti.

 

Dans la liasse MW 2609 (aujourd’hui 107 W 234), se trouve un exemplaire du tract « Deux lettres » et l’enveloppe dans laquelle il a été envoyé à un notable carcassonnais qui a remis le tout à la préfecture en octobre 1941. Le cachet de la poste indique que le pli est parti de Revel. Le préfet donne ses ordres pour qu’une enquête soit faite. Aucune allusion n’est faite au télégramme du 22 août.
    Une troisième liasse, cotée 5 M 102 (aujourd’hui 107 W 240), contient deux rapports du contrôle postal en novembre et décembre 1941. Des enveloppes contenant le tract « Deux lettres » ont été interceptées.

Adressées à des personnes de Béziers, Agen et Cahors, ces enveloppes ont été glissées à la poste à Carcassonne. Un policier astucieux remarque que ces interceptions ont toutes eu lieu un lundi matin. Mais rien n’indique qu’un rapport ait été établi avec les pièces figurant dans 5 M 103 et dans MW 2609. Rappelons ici que les liasses ne sont pas constituées par le personnel des Archives départementales mais qu’elles restent telles que déposées par l’administration.

    L’auteur anonyme du tract de quatre pages sur papier gris avait imaginé une correspondance entre un Français et un Américain, démontrant que l’armistice de juin 1940 était une erreur, que le régime de Vichy se mettait au service de l’Allemagne nazie et se rendait ignoble par sa propagande mensongère et ses lois contre les Juifs. C’était déjà une information intéressante sur une forme de résistance (la rédaction du tract, le fait qu’il soit imprimé, l’envoi par la poste) et sur la riposte des autorités et leur échec. Car, visiblement, l’auteur du tract n’avait pas pu être identifié en 1941 par l’appareil administratif et policier. Mais il se trouve qu’en 1992, lorsque j’ai ouvert les trois liasses des Archives de l’Aude, je connaissais déjà le tract et son auteur, le Mazamétain Albert Vidal, dont la famille m’avait confié les papiers. 

 

Dans ce fonds passionnant, j’avais trouvé quelques exemplaires imprimés du tract « Deux lettres », le brouillon manuscrit et un journal personnel témoignant de l’hostilité d’Albert Vidal aux dictateurs et au régime de Vichy.

Les témoignages de sa veuve et d’une de ses filles m’ont apporté des précisions : Albert Vidal était bien l’auteur du texte ; il l’avait fait imprimer clandestinement par son ami Maurice Carayol ; il le distribuait de nuit dans des boîtes aux lettres ; il en envoyait sous enveloppe à des notables de la région pour les éclairer sur un régime qu’ils acceptaient peut-être. Il prenait la précaution de ne pas poster son envoi subversif à Mazamet même. Il venait parfois accompagner sa fille pensionnaire au lycée de Carcassonne, ce qui explique les interceptions du lundi matin.

Rémy Cazals