La fête des mères sous le régime de Vichy la famille avant tout

Au mois de mai, le régime de Vichy fête très officiellement le travail (1er mai), la jeunesse (fête nationale de Jeanne d’Arc et du patriotisme) mais aussi lors de la fête de mères, sa vision de la famille. Ces fêtes illustrent parfaitement bien le triptyque  devise du maréchal Pétain  Travail, Famille, Patrie.

Retrouvez la sélection de documents présentée dans ce dossier téléchargeable et librement utilisable en classe.

Les origines de la fête des mères

Le Mother’s Day américain est  créé par Anna Jarvis au début du XXe siècle. À la mort de sa mère en 1905, Anna Jarvis, enseignante et militante pacifiste, se donne pour mission d’institutionnaliser la célébration de la maternité, selon les volontés de sa défunte mère. Ainsi débute une campagne de sept années qui aboutit à la création en 1914, par le gouvernement américain, d’un jour férié réservé aux mères le deuxième dimanche du mois de mai. 


En France, on considère que la première fête des mères est iséroise. Le 10 juin 1906, à Artas, une cérémonie honore dans la cour de l’école, deux femmes du village, des mères de familles nombreuses, qui élèvent chacune neuf enfants, et auxquelles on remet un beau diplôme. C'est l'idée de l'instituteur, Prosper Roche, fondateur de l'Union Fraternelle des Pères de Famille Méritants d'Artas. Une association destinée à soutenir les familles nombreuses et qui vient donc de décider que chaque année, une fête célébrerait les mères. Cette première s'est déroulée sans représentant de l'Etat, le sous-préfet la considérant comme  "puérile".


Plus tard, le 16 juin 1918, le colonel de la Croix-Laval va créer la première « Journée des mères » à Lyon, en hommage aux mères et aux épouses qui avaient perdu leur fils ou leur mari pendant la Première Guerre mondiale, et soutenue cette fois par l’état. Deux ans plus tard, est instaurée une fête des mères de familles nombreuses, reconnue par le gouvernement en 1929.
 

La fête des mères sous le régime de Vichy.

Le maréchal Pétain décide d’intégrer la fête des mères à son calendrier, déjà chargé, des fêtes du mois de mai. Il utilise toujours les mêmes moyens : propagande à travers des affiches, dans les journaux, au cinéma, obligation faite aux municipalités d’organiser des festivités nombreuses. Ainsi, pour la fête des mères  du 25 mai 1941, l’affiche de l’évènement est sans ambiguïté ; il y est indiqué : « Ta maman a tout fait pour toi, le maréchal te demande de l’en remercier gentiment ». On trouve également  des idées  de remerciements : en quelque sorte, il invente le cadeau de fête des mères.

Une seconde affiche, pour la journée des mères du 21 mai 1944, aborde des symboles qui  permettraient de se passer de texte. En  effet, une femme souriante, embrassée par un bébé et une fillette, montre l’épanouissement provoqué par la maternité.  Un pot de muguet nous indique que nous sommes au mois de mai et un ruban tricolore indique que l’Etat soutient et organise les manifestations autour des mères, ce qui est corroboré par la mention «Commissariat général à la famille ». On peut donc dire que c’est une affiche de propagande. 

De même que pour les autres fêtes, le gouvernement de Vichy demande aux communes d’organiser des festivités : on donne une médaille aux mères de familles nombreuses, on organise des activités artistiques. Tout est fait pour mettre à l’honneur les mères et, au -delà, la famille tout entière. 


Le très petit village de Gincla, dans les Pyrénées audoises,  a proposé à l’occasion de la fête des mères  du 31 mai 1942, une grande matinée artistique mêlant théâtre, musique, chants et poésie, dont tous les interprètes sont des jeunes gens ou des enfants. Cela donne un spectacle de grande ampleur pour une commune minuscule, ce qui montre bien l’importance que Pétain porte à cette fête.  
 

Pour clôturer cette journée, le maréchal fait un discours. Celui  du 21 mai 1941 est  centré sur la mère et la famille, qui sont pour lui «  la meilleure garantie de relèvement ». On lit entre les lignes que le gouvernement de Vichy se place en faveur des familles nombreuses et d’une natalité forte.

Mères de famille françaises,
La France célèbre aujourd’hui la famille. Elle se doit d’honorer d’abord les mères.
Depuis six mois, je convie les Français à s’arracher aux mirages d’une civilisation matérialiste. Je leur ai montré les dangers de l’individualisme. Je les ai invités à prendre leur point d’appui sur les institutions naturelles et morales auxquelles est lié notre destin d’homme et de Français.
La famille, cellule initiale de la société, nous offre la meilleure garantie de relèvement. Un pays stérile est un pays mortellement atteint dans son existence. Pour que la France vive, il faut d’abord des foyers. Un foyer, c’est la maison où l’on se réunit. C’est le refuge où les affections se fortifient, c’est cette communauté spirituelle qui sauve l’homme de l’égoïsme et lui apprend à s’oublier pour se donner à ceux qui l’entourent.
Maîtresse du foyer, la mère, par son affection, par son tact, par sa patience, confère à la vie de chaque jour sa quiétude et sa douceur. Par la générosité de son cœur, elle fait rayonner autour d’elle l’amour qui permet d’accepter les plus rudes épreuves avec un courage inébranlable.
Mères de notre pays de France, votre tâche est la plus rude, elle est aussi la plus belle.
Vous êtes, avant l’État, les dispensatrices de l’éducation ; vous seules savez donner à tous ce goût du travail, ce sens de la discipline, de la modestie, du respect qui fait les hommes sains et les peuples forts. Vous êtes les inspiratrices de notre civilisation chrétienne et voici qu’aujourd’hui dans nos deuils, dans nos misères, vous portez la plus lourde croix.
Mères de France, entendez ce long cri d’amour qui monte vers vous.
Mères de nos tués, mères de nos prisonniers, mères de nos cités qui donneriez votre vie pour arracher vos enfants à la faim, mères de nos campagnes qui, seules à la ferme, faites germer les moissons, mères glorieuses, mères angoissées, je vous exprime aujourd’hui toute la reconnaissance de la France 
 

La famille, essentielle pour Vichy

Au-delà des mères, le gouvernement de Vichy célèbre la famille et les naissances. Il crée un commissariat général à la famille et organise dans toute la France une exposition de propagande: l’Exposition Familiale Française.  C’est une exposition itinérante qui passe deux ou trois semaines par  région et trois jours dans chaque ville importante. Cette exposition a fait escale à Carcassonne du 13 au 16 janvier 1944.

A travers cette exposition, l’Etat français présente sa vision de la famille en décomposition : divorces, natalité qui baissent,  beaucoup de veuves de guerre …Il encourage alors à changer la donne en montrant les vertus de la famille. En marge de l’exposition sont organisées pendant les 3 jours des réunions  avec des partenaires en rapport avec la famille : enseignants, dirigeants de mouvements de jeunesse, assistantes sociales, maires et conseillers municipaux, etc.  afin de délivrer la parole du maréchal. Est également donnée une conférence, « La famille dans la nation », avec le même objectif. 

Vidéo L'Exposition Familiale Française, Journal France Actualités, INA 

Après Vichy, quel avenir pour la fête des mères?

Une fête nationale en 1950


Il faut attendre la IVème République pour que la « fête des Mères » soit inscrite en tant que loi, dans le calendrier républicain. Le président socialiste Vincent Auriol promulgue la loi du 24 mai 1950 qui stipule : « La République française rend officiellement hommage chaque année aux mères françaises au cours d’une journée consacrée à la célébration de la fête des Mères ». Beaucoup d’autres pays comme les Etats-Unis, les pays asiatiques, l’Australie, la Belgique, l’Italie etc. célèbrent la fête des mères le deuxième dimanche de mai, ce qui est impossible en France car c’est la date de la fête nationale de Jeanne d’Arc et du patriotisme.  Les mères seront donc célébrées en France le dernier dimanche de mai, sauf si celui-ci est le dimanche de pentecôte. Dans ce dernier cas, la fête aura lieu le premier dimanche de juin.


L’organisation des festivités est prise en charge par le ministère de la Santé, puis par celui de la Famille. Le préfet envoie alors une lettre de cadrage pour veiller au déroulement conforme aux attentes du gouvernement: remise de médailles, partie festive, collecte pour les services sociaux.
 

Mais, contrairement au temps du gouvernement de Vichy, des voix opposantes s’élèvent comme dans « Miquette accuse », un article de la Voix de la patrie,  journal de la région de Montpellier à tendance communiste.  Cet article attaque les pouvoirs publics en les taxant de « société capitaliste d’hypocrisie » en ce qui concerne la fête des mères. En effet , l’article souligne  que si l’Etat voulait vraiment fêter les mères,  il paierait plus leurs maris ou empêcherait les conflits meurtriers où leurs maris pourraient mourir. Cette opposition était impossible sous Pétain.

Une fête consumériste après-guerre


Le cadeau traditionnel de la fête des mères a longtemps été un bouquet de fleurs, qui peut être accompagné d’un poème récité par l’enfant. Après la seconde guerre mondiale, l’économie française doit redémarrer et on entre dans la société de consommation des Trente Glorieuses (1945-1975). Les ménages doivent s’équiper et la fête des mères est l’occasion de vendre du parfum, des bas mais aussi des produits ménagers comme dans les publicités ci-dessous. Ces annonces renvoient à une image de femme au foyer assignée aux tâches ménagères.  C’est à cette époque que Moulinex dépose le slogan « Moulinex libère la femme », non pas dans un sens d’émancipation de la femme mais plutôt pour faire valoir un gain de temps  permettant à la femme de prendre plus soin d’elle, tout en faisant fonctionner son foyer familial.