Dans la bib' à Léon #11 Claude-Ignace Brugière de Barante : préfet de l'An VIII

Carte du département de l'Aude. Gravure de d'Houdan. Carte en couleur. Ech. : 3,7 cm pour 10 000 m. 0,55 m x 1,18 m. (1818)
© AD11_1Fi00191

Après la Révolution, la constitution fut soumise à l’acceptation du Peuple (article 95 de la constitution du 22 Frimaire An VIII-9 décembre 1799). Le nombre de signatures présentes sur le registre d’acceptation, mis à disposition à Carcassonne, fait dire à Claude-Ignace Brugière de Barante (1745-1814), premier préfet de l’Aude, que la toute nouvelle constitution suscite l’adhésion des citoyens audois, ou du moins carcassonnais. Il semblerait que, même si le nombre de signataires dépasse le nombre de votants, les habitants des cantons de Chalabre et de Coursan soient plus mesurés ; les premiers, dans l’expectative de ce qu’entreprendra le gouvernement en matière de liberté du culte catholique, les seconds par peur de se compromettre. Mais, au-delà de la promesse d’œuvrer pour mener à bien la « réconciliation générale », les préfets de l’an VIII ont pour mission de recréer un lien entre l’Etat et la Nation et d’assurer le bonheur des citoyens.

 

Cette chronique vous est présentée dans le cadre de la série Dans la Bib' à Léon.

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Notable et révolutionnaire : les qualités requises pour être préfet

Nommé préfet à 55 ans, Claude-Ignace Brugière de Barante avait effectué la majeure partie de sa carrière de magistrat sous la monarchie. Il prit part aux agitations révolutionnaires mais fut arrêté en 1794 comme « ancien noble », puis libéré un an plus tard grâce aux interventions répétées et soutenues de sa femme, Suzanne Tassin de Villepion. Cet épisode ne l’empêche pas de faire partie du contingent de notables, anciens députés des assemblées révolutionnaires et hommes de lois, présélectionnés par Lucien Bonaparte, alors Ministre de l’Intérieur, susceptibles d’être choisis par le Premier Consul pour assurer la charge de préfet. Napoléon Bonaparte procédait seul à la nomination des membres de ce nouveau corps préfectoral : l’auvergnat Barante prend ainsi ses fonctions dans l’Aude en 1800.
 

Restaurer la paix pour réorganiser le territoire

Cette première « promotion » de préfets reçoit dans sa feuille de route trois injonctions principales :

La levée des conscrits 

Napoléon prépare la deuxième campagne d’Italie et a besoin de soldats. Il jugera d’ailleurs l’efficacité de ses préfets au nombre de conscrits qu’ils pourront proposer ! Les dix départements qui auront recruté le plus seront promus « sensibles à l’honneur et à la gloire nationale ». Pour le département de l’Aude, le Préfet Barante estime que « environ quinze mille habitans ont pris part à la guerre et que près de la moitié en a supporté les fatigues et les dangers dès les commencemens ».

L’acquittement des contributions

Si celles-ci sont en général acquittées avec difficultés dans les autres départements, le préfet Barante indique que « les contributions publiques ont été acquittées avec assez d’exactitude […]. Les sommes recouvrées sur les contributions directes s’élèvent à 1837,787 frs et la somme imposée est d’environ 2400 frs ». Il juge d’ailleurs la différence peu considérable, eu égard aux mauvaises récoltes et aux ravages de la grêle sur celles-ci.

Le maintien de l’ordre

Après le coup d’état du 18 Brumaire, des foyers d’agitations brûlent toujours sur le territoire sauf… dans l’Aude où « les juges n’ont eu à se prononcer sur aucun crime grave, aucun assassinat prémédité et caractérisé. […] Le brigandage, repoussé de tous les départements voisins par de grandes mesures militaires, a vainement cherché un asile dans celui-ci ».
 

L’action mesurée par la statistique

Pour avoir une vue précise de la situation économique et politique du département, l’administration centrale exige du préfet un rapport mensuel faisant état de l’évolution de la population, du prix des denrées, des échanges et des produits du commerce, des contributions, des données de la justice… Evidemment, le préfet Barante s’y conforme, tout en prolongeant son action par la publication de deux ouvrages :

  • Observations sur les états de situation envoyés au ministre de l’intérieur pendant le cours d’une année ; savoir, depuis le 1er prairial an VIII (21 mai 1800), jusqu’au 30 floréal an 9 (20 mai 1801) 

Dans cet ouvrage, il remarque notamment un accroissement sensible de la population, qui n’est pas due au mariage des prêtres, ni au divorce, ni même à la division des propriétés, mais plutôt à une certaine aisance dans les campagnes. Les citoyens y ont bénéficié d’un affranchissement de la dîme et des redevances foncières. Il note également que le peuple est moins malade car il se nourrit mieux, les salaires étant plus élevés qu’avant la Révolution. Enfin, selon lui, la vente des biens nationaux a multiplié les mariages, car cela a permis l’apparition de « nouveaux propriétaires ».
Le préfet souligne néanmoins une ombre - de taille - à ce tableau : « l’enseignement public est presque nul. Dans les campagnes, il y a peu d’instituteurs primaires, et ceux qui en ont le titre, n’ont guère de moyens, ni de volonté d’exercer convenablement ces utiles fonctions ».

Consultez l'ouvrage en ligne

 

  • Essai sur le département de l’Aude adressé au Ministre de l’Intérieur

Publié après son départ de l’Aude, ce document conséquent propose une description précise du département et des préconisations pour en « optimiser » les ressources, faciliter la vie de ses habitants, en favoriser l’accès… 
Parmi ses propositions, il invite à redessiner les limites du département tel que cela était prévu par la Constituante, en lui restituant les communes attribuées à la Haute-Garonne et à l’Ariège, en réhaussant la ligne de partage avec l’Hérault d’une « irrégularité choquante. […] On se demande pourquoi on a voulu que le département de l’Hérault format une telle saillie dans celui de l’Aude, en tout cas pas dans l’intérêt des habitants qui doivent faire plus de 25 lieues pour se rendre au chef-lieu et traverser une partie du département alors qu’ils sont plus proches de Carcassonne ».
Il semblerait que ces préconisations n’aient pas été suivies…

Autre sujet d’importance aux yeux de Barante, mais dont les conclusions ne paraissent pas avoir été mises en œuvre, redonner à Narbonne sa « splendeur romaine » grâce à la création de voies de communication efficaces. Il pressent que la navigation dans le chenal pour entrer dans Port-la-Nouvelle sera abandonnée, car peu adaptée aux navires autres que de petites « tartanes ». Il évoque le canal en cours de construction dans la petite île de Sainte-Lucie, dont la profondeur est plus considérable et plus égale que celle de l’étang.
Pour lui, la Nouvelle n’est pas la solution, en revanche « La Franqui qui s’avance de 1200 toises (1,9 km) dans la mer, en forme d’anse, abrité du vent » serait la voie d’accès parfaite.

La question de l’exploitation des mines est aussi largement traitée par Barante. Il analyse les intérêts à exploiter le mica, le schiste, le fer, le cuivre, l’argent, le manganèse, l’étain, mais aussi le marbre de Caunes, de Cascastel, Quillan ou Coudons. D’après lui, « une diminution progressive de toutes les exploitations, les a enfin amenées au point où à peine quelques mines sont encore en valeur […], ainsi nous sommes entourés de richesses que nous laissons inutiles » […]il serait temps d’éclairer et encourager ce genre d’industrie ».
Cette prise de position le conduit à formuler des préconisations sur un sujet qui lui tient à cœur et qu’il développera à de multiples reprises : l’instruction des citoyens : « Il faut que les progrès de la science servent enfin à celui de la prospérité publique : on a besoin de répandre les connaissances plutôt que de les augmenter ».
En effet, même si en conclusion de son ouvrage, Barante se montre plutôt optimiste quant à la présence des ressources naturelles et humaines nécessaires à l’essor du département, il met en garde le gouvernement : « En vain, on créera des écoles ; tant que le peuple ne sera pas dans l’aisance, elles ne seront point fréquentées. Chacun, avant tout, cherche à pourvoir à sa subsistance, et ne cherche pas autre chose, tant qu’elle n’est pas assurée et indépendante des événements. Ainsi tout ce que l’état retire d’un pays, au-dessus de la proportion la plus juste, nuit au progrès de l’instruction comme à ceux de l’industrie ». 

À l'instar du Mémoire historique et politique sur la province de Languedoc de l'intendant Nicolas de Basville 100 ans plus tôt, les deux ouvrages de Claude-Ignace Brugière de Barante sont rédigés à partir d'enquêtes de terrain avec le soutien parfois d'érudits locaux dans le souci d'informer le gouvernement le plus précisément possible sur "l'état" du département. Ces données constituent aujourd'hui une source précieuse d'informations sur la société audoise au début du 19e siècle.

Bibliographie

Dans la bibliothèque de Léon Nelli

  • Barante (Claude Ignace de).- Essai sur le département de l'Aude. Carcassonne : Gareng, an XI. In-8°, 236 p. (manquent couverture, page de titre et jusqu'à la p. 32). Cote N°369 
  • Barante (Claude Ignace de).- Discours prononcé par … préfet du département de l'Aude, le 14 vendémiaire an IX, en posant la première pierre du pont de Carcassonne, sur l'embranchement du Canal des deux Mers. Carcassonne : G. Gareng, An IX. In-8°, 7 p. Cote N°1559/144
  • Barante (Claude Ignace de).- Discours prononcé par C. I. Barante, préfet du département de l'Aude le 20 brumaire an IX pour la rentrée de l'Ecole centrale de ce département et l'installation du jury central d'Instruction publique. Carcassonne : G. Gareng, brumaire an IX In-8°, 12 p. Cote N°1559/428
  • Trey (Barthélémy).- Barthélémy Trey, professeur de législation, au citoyen Barante, préfet du département de l'Aude. Carcassonne : J. J. Teissié. - In-8°, 19 p., s. d. Cote N°1561/1

Dans la bibliothèque des Archives départementales

  • Observations sur les états de situation envoyés au ministre de l’intérieur pendant le cours d’une année ; savoir, depuis le 1er prairial an VIII (21 mai 1800), jusqu’au 30 floréal an 9 par le citoyen Barante... . - Paris : impr. des Sourds-Muets, an IX. - 26 p. : tableau in-fol. plié in-8° ; in-8. (Statistique des préfets). Cote Q°44
  • Essai sur le département de l'Aude, adressé au ministre de l'Intérieur  / par C.-I. Barante,... .- Carcassonne : G. Gareng, brumaire an XI. - 236-59 p. ; in-8. Cote E°22
  • Deux siècles d'histoire préfectorale dans l'Aude : 1800-2000. - Carcassonne : Préfecture de l'Aude ; Nîmes : Association pour la Promotion des Archives en Languedoc-Roussillon, 2000. - 210 p. Cote D°2810
  • La situation des départements et l'installation des premiers préfets en l'an VIII 
    (23 septembre 1799-22 septembre 1800) / Elisabeth Berlioz. - Paris : Archives nationales ; la Documentation française, 2000. - 365 p. Cote D°2959
  • (J.Godechot) : Les premiers préfets de l’Aude. Dans Bulletin de la SESA, 1952, tome 53, p.17-29. Cote 17PER54