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Le territoire dans tous ses états ! #1 Implorer le ciel pour la pluie... ou le beau temps

Implorer le ciel
AD 11 3 E 903 © Archives départementales de l'Aude

Au Moyen Age et sous l’Ancien Régime, les évènements climatiques extraordinaires, ou considérés comme tels, ne sont pas vécus comme des manifestations météorologiques naturelles, mais bien plutôt, au même titre que les maladies épidémiques, comme des signes évidents de la toute-puissance divine qui se rappelle ainsi à l’attention du genre humain.

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Solliciter la Vierge Marie et les saints

Tous ces signes sont donc systématiquement interprétés comme des manifestations surnaturelles, équivalant à des annonces, des avertissements ou encore des châtiments envoyés par Dieu aux hommes, en raison de leurs péchés et mauvaises actions. Face à cette profonde et récurrente angoisse, la réponse ne peut être que collective et doit impérativement solliciter, de façon démonstrative, la miséricorde du ciel, grâce aux prières adressées à la divinité et à ses intercesseurs privilégiés : la Vierge Marie et les innombrables saints du Paradis. Pour ce faire, c’est donc la procession d’intercession qui constitue alors le moyen employé le plus fréquemment, par les urbains comme par les ruraux. On processionne donc fréquemment pour demander ce dont on a besoin, en fonction des circonstances et des nécessités de la vie agricole : du soleil, de la pluie, de la fin des orages, de la chaleur ou du froid. Parfois même, ce sont les autorités ecclésiastiques qui organisent ces processions par mandements interposés. Celles-ci peuvent d’ailleurs se répéter sur plusieurs jours consécutifs, voire plusieurs semaines. En 1724, les vicaires généraux de l’archidiocèse de Narbonne ordonnent ainsi des processions publiques pour obtenir la pluie.

 

Dans le cadre de ces sacralités quelque peu magiques, certains saints spécialisés sont plus fréquemment invoqués, et on promène ardemment leurs statues à travers les rues ou sur les chemins. C’est par exemple le cas de saint Vincent, patron des vignerons, ou de saint Pancrace, patron des laboureurs. Mais on peut aussi implorer d’autres saints, qui jouissent localement d’un culte assidu et sont souvent investis d’une puissance sans limite. C’est le cas de sainte Anne à Carcassonne, dont la cathédrale Saint-Nazaire de la Cité conserve un précieux reliquaire, et de saint Jean-François Régis, le Jésuite évangélisateur, natif de Fontcouverte. 

Recourir aux processions


En certaines circonstances exceptionnelles, ce recours processionnel peut même devenir paroxystique et prendre alors une forte coloration pénitentielle, rappelant les lugubres déambulations des Flagellants dans l’Italie ou l’Allemagne du XIVe siècle. La procession paroissiale se transforme alors en véritable pèlerinage-panique. En 1612, les pays d’Aude sont ainsi touchés par une terrible sécheresse qui met en grand danger les récoltes et fait craindre à la population une sévère famine. Le livre mémorial de la confrérie du Rosaire, située dans le couvent des Dominicains de Limoux, rapporte alors en détail les pérégrinations compulsives des habitants :
« Sachent tous présens et avenir que en l’année 1612, régnant Louis treize, roy de France et de Navarre, il y eut une grande sécheresse sur toute la terre du païs de toute la province de Languedoc et partie de la Gascogne, pour n’avoir pleu depuis la fin du mois de novembre de ladite année jusqu’au 27 mai 1613, tellement que le peuple de ce païs estoit grandement afligé et croyant avoir perdu la récolte, ou pour mieux dire tous les fruits de la terre, et faisoint des processions en leurs vieux reliquaires, et plus grande partie étant en habit de pénitant et notamment le peuple de Limoux se mit en dévotion, le jour 27e may ; et partit de la ville et du couvent des frères prêcheurs en procession aportant limage de Nostre Dame du Rosaire, où tous les Confrères avec leurs cierges alumés, accompagnés de tous les pénitents blancs, pour aller à la ville de Carcassonne le 9e juin, à l’imitation du même voyage fait à Carcassonne aux temps de contagion, dont les prières et intercession de la très Sainte Vierge Marie furent exaucées, et la colère de Dieu apaisée, ainsy qu’apert du livre plus ancien de la Confrérie. Le Bon Dieu continuant ses grâces et exauçant les prières faites à Mère Vierge, pleine de miséricorde, dont le témoignage a été évident en ce monde transitoire, fit pleuvoir promptement sur la terre une douce rozée qui remit les fruits, qui estoient secs et arides, en grande abondance ». 


Les limouxins font donc l’aller-retour jusqu’à Carcassonne, mais d’autres font parfois des trajets beaucoup plus longs, sillonnant inlassablement le territoire de leurs cortèges affolés. Un témoin avisé, le notaire carcassonnais François Callac, le confirme d’ailleurs à travers des notes laissées dans un de ces registres. Entre autres vœux et pèlerinages, il est tout particulièrement impressionné par une procession des habitants de Narbonne, qui comprend pour le moins trois cent enfants et adultes, tous habillés de blanc et les pieds nus. Ils représentent le cortège des prophètes, des patriarches, des apôtres, des anges et illustrent aussi certaines scènes pieuses extraites de la vie du Christ ou de la Vierge. Accompagnant des religieux dominicains, ils se rendent au monastère de Prouille où ils plantent une grande croix de bois et chantent des hymnes, demandant inlassablement la pluie. Trois jours plus tard, ce sont les habitants de Sigean qui passent dans la bastide et se rendent à Saint-Sernin de Toulouse pour y implorer les corps saints. Enfin, à Carcassonne même, entre Cité et bastide, ce sont les reliques de saint Gimer et de saint Lupin qui sont longuement promenées à travers la ville. 

 

L’année suivante en 1613, les précipitations sont trop abondantes. Elles provoquent « de grandes innondations et des ravages deaux », emportant même une partie du Pont Neuf de Toulouse. Désormais, c’est donc pour demander l’arrêt de la pluie et le retour du beau temps que des cortèges dévots s’ébranlent dans les villes et les campagnes.


Au XIXe siècle encore, l’angoisse liée aux accidents climatiques, et à leurs conséquences désastreuses pour les récoltes, est toujours présente et on a encore recours aux mêmes palliatifs spirituels pour essayer d’y échapper. C’est ainsi ce que font les paroissiens de Saint-Pierre des Champs en 1816, lors de deux processions, en sollicitant l’intercession de saint Antoine. 


Aujourd’hui comme hier, même si les mentalités ont évolué, le ciel est toujours scruté avec attention par les populations. Avec bonheur et admiration souvent, mais aussi parfois avec une profonde anxiété. Désormais, les prévisions météorologiques et les messages d’alerte ont remplacé les processions !