Patrimoine, Archives départementales

"Je suis tenté de croire qu’il y aura assez de bon sens dans le monde pour le tenir sur le chemin de la paix"

3 J 3556 © AD11

Les correspondances de poilus avec leurs familles sont toujours des archives émouvantes. En 2024, les Archives départementales de l’Aude ont reçu en don celles de Julien Saury.

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« Bien chers épouse, Aimée et parents ». C’est ainsi que commencent toutes les lettres que Julien Saury, né le 29 février 1888 à Lanet et négociant à Davejean, envoie à sa famille. L’ensemble documentaire, que vous pouvez venir consulter en salle de lecture (cote 3 J 3556/1-7), se compose d’une correspondance active et passive entre Julien, sa femme Yvonne, leur fille Aimée et ses parents, restés à Davejean. Elle commence le 2 mai 1916 et se termine le 7 juillet 1919. Parmi les centaines de lettres de Julien conservées, quelques lettres de son épouse et quelques traditionnelles cartes postales de poilus. Certaines lettres sont délicatement accompagnées de fleurs séchées...

D’après sa fiche matricule (document coté RW572), Julien Saury est mobilisé dès le 4 août 1914, il incorpore le 122e régiment d’infanterie le 16 septembre 1915. Suite à une intoxication au gaz, il contracte une violente bronchite en octobre 1919 et il est définitivement démobilisé à ce moment-là. Il touchera alors une pension d’invalidité pour cette maladie chronique.

 

Sa correspondance (l’orthographe initiale est respectée) est semblable à celles des autres poilus, révélatrice des mentalités de son époque et des soucis qui habitent ces hommes au front éloignés de leur famille et de leur maison.

Julien Saury aime donner des conseils à sa femme, notamment lorsque celle-ci est enceinte, ou lorsqu’il s’agit de l'éducation de leur fille Aimée. « Faites attention de ne pas manger des fruits non mûrs. Il faut qu’ils le soient bien. Si autrefois les enfants pouvaient en manger, aujourd’hui ce n’est plus pareil. Quant à toi Yvonne, lève-toi de bon matin, ça fait du bien. Que papa n’ait pas peur de taper fort à la porte de ta chambre. ». Dans une autre lettre, il reconnait que le café chaque matin n’est pas la boisson la plus appropriée pour sa petite fille, déjà très dynamique ! 


Il aime aussi donner des conseils sur la gestion de leur basse court et leur potager : « Soignez bien la basse-cour mais occupez-vous surtout des lapins ; quant aux poulets, ne les laissez pas vieillir ; quand ils sont à point, le couteau au cou. Quand viendra la paix, pas besoin de poulet, ce qu’il y aura sera toujours délicieux. Ayez de la bonne salade pour fin juillet. »


 

 

Il écrit quotidiennement et reçoit régulièrement des colis dont il liste le contenu, afin de s’assurer que rien ne manque. Il demande aussi parfois des denrées particulières : « Envoyez un colis, 1K boustifaille fantaisie que je consommerai. » ; « Il me faudrait du papier jobs [Feuilles pour rouler du tabac, de la marque Job], flacon riqles [Durant la Première Guerre mondiale, les poilus prennent l'habitude d'avoir dans leur paquetage ces flacons d’alcool de menthe réputé antiseptique, de la marque Ricqlès], 1 saucisson, 1 tablette chocolat, 50 enveloppes et 2 paquets praline » ; « le saucisson ne m’est pas utile à la tranchée car il donne soif et y’a pas d’eau « ; «  Dans le colis que vous pouvez m’envoyer de suite pour que je l’ai avant de remonter en ligne, mettez-y les choses qui se conservent, 300g de sucre, confitures, pas de bougies ni patés, un peu de Roquefort, enfin ce que vous savez que j’aime et qui se conserve. » ; « Reçu ce matin lettre du 27 [décembre 1916] et le colis contenant 2 gâteaux et le poulet qui m’a surpris, mais agréablement. Reçu aussi le colis de Lanet de tante Albanie contenant 125g chocolat Poulain, 3 biscottins, quelques bâtons nougat. ». Un poulet a donc fait le voyage de Davejean jusqu’au front !

Là-bas, on n’oublie pas non plus les spécialités audoises « J’ai mangé le cassoulet, je me suis dit peut-être tu ne pourras le manger bien tranquille en 1ère ligne, et puis je n’aurai pu allumer de feu pour le faire chauffer ».

 


Julien Saury n’évoque pas souvent le dur quotidien des tranchées, d’une part car lorsqu’il écrit il est plutôt en retrait du front, et d'autre part peut-être pour ne pas inquiéter sa famille. Cependant, dès 1914 il pensait que la guerre serait rapidement terminée, ce qui l'aidait surement à tenir. « Rien de bien nouveau, temps pluvieux avec un peu de vent mais jamais bien fort comme a Davejan, mais quand même, je préfèrerais vivre a Davejan qu’ici. Boch calme. Ici je ne prends que de la garde, mais très légère, bref on n’y est pas mal. J’espère revenir fin février [1916] si la paix n’est pas arrivée. Dieu fasse qu’elle vienne nous surprendre sous peu. Si vous pouvez, participez a l’emprunt, ne serait-ce que 100 francs, pour que vous n’ayez rien a vous reprocher. »

 

Très croyant, il est certain que Dieu accordera la victoire aux Français. « Comme toujours tout est bien qui finit bien ; ici il y a la flotte et la boue, naturellement ailleurs il y a la mitraille, mais pour celui qui croit a un juge suprême, la guerre est une punition des pechés du monde donc il faut souffrir d’une façon ou d’autre ; donc pour si mal que ça aille, je ne m’en prend pas a Dieu en blasphémant, mais au contraire je lui demande pardon de l’obliger a nous infliger la guerre comme un enfant reconaissant sa faute est faché d’obliger son pere a le corriger ».

Pour lui, les coupables de cette guerre sont les Francs-maçons, les Juifs, les pacifistes et les gouvernements qui se sont succédés depuis 40 ans. Ses écrits reflètent des pensées d’une autre époque, où le colonialisme était vanté à l’école et où les droites en France avaient trouvé leurs boucs-émissaires pour justifier cette terrible guerre : « Il me semble que les Boches devraient payer rudement cher leurs succès, si nous avons tant d’artillerie comme on dit. Ils ont plus de pertes que nous mais je crois qu’ils peuvent les supporter mieux que nous car ils ont un plus grand pourcentage que nous d’hommes valides. Nous aurons je crois la victoire car je crois que Dieu est avec nous, vu que la France a fait beaucoup de bien dans le monde par ses armées de soldats, missionnaires, sœurs ; c’est la France qui a le plus contribué a civiliser le monde par la religion. »

Alors qu'il critiquait les pacifistes, il en vient lui-même, à la fin de cette guerre, à souhaiter un avenir bien plus paisible pour tous: « Je suis tenté de croire qu’il y aura assez de bon sens dans le monde pour le tenir sur le chemin de la paix ».

Nous remercions Monsieur Sébastien Poudou pour ce don.
 

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