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Le territoire dans tous ses états ! #4 L’exploitation des forêts audoises - 1ère partie (XIIIe-XVIIIe siècles)

Bois pour la Marine
AD11 1 L 796 - Approvisionnement en bois de construction du service de la Marine © Archives départementales de l'Aude

Les XIIIe et XIVe siècles semblent marquer un tournant dans l’exploitation forestière. L’espace boisé diminue et devient un enjeu économique nouveau. Les forêts d’Ancien Régime, qu’elles soient la propriété des communautés villageoises, du roi, du clergé ou des seigneurs, sont grevées de droits d’usage qui commencent à être attaqués au XVIIIe siècle. 


Cette chronique vous est présentée dans la rubrique Le territoire dans tous ses états !
 

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Une ressource essentielle


Au Moyen Âge, les forêts sont essentielles aux activités humaines. Le bois est quasiment la seule ressource pour se chauffer. Il est utilisé également pour les constructions, pour l’artisanat et l’industrie (les mines par exemple). La forêt fait vivre les sabotiers, les charpentiers, les menuisiers, on y collecte les écorces pour le tannage ; on exploite les marnières et sablières, on y fabrique le charbon de bois… C’est aussi une réserve de vie sauvage pour les seigneurs et les porcs y sont emmenés pour se nourrir de l’automne au printemps. 

 

Les forêts sont abondantes jusqu’au XIIIe siècle et les seules règlementations semblent alors porter sur les droits de chasse. Avec la forte croissance démographique et les défrichements (Xe-XIIIe siècles) pour fonder de nouvelles villes et mettre en culture de nouvelles terres, les forêts reculent assez rapidement. Les conflits entre utilisateurs et propriétaires (communautés villageoises, seigneurs) donnent lieu à de plus en plus de procès. Les accès aux forêts deviennent plus limités et contrôlés, parfois ils doivent se monnayer, les seigneurs voulant garder le contrôle sur ce qui est désormais davantage perçu comme une richesse. Certains seigneurs concèdent une portion de leur forêt aux villageois, contre l'abandon par eux des usages sur l'ensemble, cette portion donnant naissance aux bois communaux.

Du bureau à la maitrise des Eaux et Forêts de Quillan


Pour contrôler les forêts, le pouvoir royal a créé au XIVe siècle les maîtrises des Eaux et Forêts, grandes circonscriptions administratives et judiciaires. La surveillance des forêts de tout le sud de notre département actuel s’exerçait à partir de Quillan. Jusqu’au XIIIe siècle, les forêts de la Haute Vallée appartenaient à plusieurs seigneurs ecclésiastiques (chapitre Saint-Paul de Fenouillet, archevêques de Narbonne, abbaye de Joucou…) ou civils (comtes de Foix, vicomtes de Carcassonne…). Avec la Croisade des Albigeois, plusieurs forêts entrèrent dans le domaine royal.
Le plus ancien règlement du bureau des Eaux et forêts de Quillan date de 1561. Ce bureau s’occupait principalement d’encaisser les adjudications de ventes de bois, de percevoir quelques taxes et de gérer le port sur la rivière d’Aude (pour le départ des bois par flottage). Les charges des officiers s’achetaient, comme toutes les autres charges, et ceux qui les obtenaient n’exerçaient pas toujours un grand zèle pour la protection des forêts, faute de moyens financiers et humains. En 1626, on s’alarme quand même de la vitesse avec laquelle le déboisement s’opère par les marchands de bois de Quillan. La coupe des jeunes arbres est alors interdite pendant dix ans. Mais les règlements du bureau de Quillan ne réussirent jamais vraiment à empêcher les coupes sauvages dans les forêts.


Sous l’impulsion de Colbert, une transformation de la gestion des forêts fut entreprise. Au bureau de Quillan succéda une Maîtrise, installée en 1671. Son action ne se limitait pas aux forêts royales mais concernait aussi les forêts privées. Le territoire géré était immense, dépassant les frontières actuelles du département, si bien que les forêts éloignées n’étaient que rarement visitées et contrôlées. La Maîtrise était placée sous l’autorité d’un maître qui ne résidait pas toujours à Quillan. Il était assisté d’un ou plusieurs lieutenants. Y travaillaient également un arpenteur, un garde-marteau (le marteau était un maillet de fer ou de bois très dur, sculpté sur la partie frappante avec un sceau représentant la Maîtrise), un greffier et plusieurs gardes (entre 12 et 17). 
 

 

Comme le rappelle Jean Fourié, le Maître « était tenu de dresser chaque année un procès-verbal détaillé de l’état des forêts, des délits constatés, des défrichements, des bornages et des bâtiments se trouvant dans leur périmètre […], de visiter les forges, les verreries et les divers moulins afin d’examiner s’il y est consommé des bois de délit ». Ces procès-verbaux fournissaient ainsi des renseignements sur l’état des arbres et des sentiers, l’érosion, la faune. Le Maître tenait aussi des registres contenant les résultats des adjudications, les doléances reçues, les déclarations de transport sur la rivière… 
Chaque année, en juin, juillet et août, avait lieu une assemblée désignant les arbres destinés à l’abattage, identifiés grâce au marteau de la Maîtrise. Les plus beaux et longs étaient destinés à la Marine royale et transportés vers Sète, Marseille ou Toulon. Les arbres vendus par la Maîtrise ou par des particuliers devaient passer obligatoirement par le port de Quillan où ils étaient contrôlés. C’est le seul lieu où le bois pouvait être débité.
 

La grande réformation de Colbert


Aux XVIe et XVIIe siècles, l'expansion économique exigea beaucoup de bois, aussi bien pour la création des manufactures que pour la construction de navires. Il était donc primordial de gérer cette utilisation intensive des forêts. C'est pourquoi Colbert entreprit, dès le début du règne de Louis XIV, une grande réformation, ou inventaire forestier, destiné à faire le point sur l'état des forêts royales. Dès 1665, il fit prospecter quelques secteurs des Pyrénées. Les procès-verbaux de visites des forêts, effectuées par des commissaires aux pouvoirs extraordinaires, foisonnent d’indignations devant leur état, qui n’est en fait mauvais qu’au regard des attentes des administrateurs royaux, qui voudraient trouver partout des arbres assez grands et assez robustes pour servir aux constructions et à la marine.
 

 

Comme le rappelle Michel Noël, cette opération fut menée dans l’Aude par Louis de Froidour. Il devait visiter les forêts, constater leur état et les délits éventuellement commis, et sermonner les gardes. Accompagné d’un arpenteur pour faire le tracé des bois, il repérait les bornages et faisait un rapport final. Voici un extrait du Registre de la réformation de la Maîtrise de Castelnaudary :  « Dudit triage (forêt de la Seine) nous sommes descendus dans un valon apellé la Combe de l'Esperon, lequel nous avons trouvé planté en bois de mesme essence de chesne et hetre melé de l'aage de trente cinq a quarante ans, ou nous avons trouvé plusieurs délits, mesmes plusieurs souches d'arbres couppes et ayant trouvé au travers du dit triage le chemin qui conduit au lieu de Gajan Pec Luna, nous sommes entres dans le milieu de laditte forest que nous avons trouvé bien planté de bonne nature de bois sans délits. Mais estant descendus dans un valon appellé l'acombe de Moussen Gregory, nous l'avons parcouru descendant depuis la fontaine de Cenon jusque a la lisière de la ditte for est qui regarde le midy. Nous avons en la dite combe et au triage appellé la Taissonnière trouvé grande quantité de délits de divers aages à cause des diverses coupes que les délinquants y ont faites, nous avons trouvé les souches de plusieurs arbres couppés depuis vingt, quinze, douze et dix ans, mesme depuis deux et un an et depuis quelques mois dont quelques uns ont été employé a faire du merrein et des lattes, les coppeaux estant encor sur le lieu, sur lesquels délits nous avons remonstré aux gardes qu'il y avait grande apparence qu'ils saquittoient mal de leurs charges, que faisant leur résidence a Castelnaudary esloigné de trois grandes lieues de laditte for est ce n'étoit pas un moien de bien conserver laditte forest. » (document coté 64 C 1 - en mauvais état)

Afin de faire cesser les abus, le pouvoir des officiers des maîtrises est renforcé. Des portions de forêts sont interdites d’accès et on organise une garde active sur les forêts communales. L’ordonnance allie des objectifs de conservation, de répression et de valorisation optimale des forêts sur le long terme.

Bibliographie 

Noël M., L'homme et la forêt en Languedoc-Roussillon : Histoire et économie des espaces boisés, Perpignan, 1996.
Fourié J., « La maîtrise particulière des eaux-et-Forêts de Quillan sous l'Ancien Régime », Mémoires de la Société des Arts et des Sciences de Carcassonne, tome 9, 1976-1978, p. 247-258. (16 PER 40)
Braunstein Ph., « Forêts d'Europe au Moyen-Âge », Les Cahiers du Centre de Recherches Historiques, 6, 1990.
Fruhauf Ch., « Le ressort de la maîtrise de Quillan 1670-1790 », Bulletin de la Société d'Etudes Scientifiques de l'Aude, 1985, p. 133-138. (17 PER 86)