Cinq femmes audoises au cœur de leurs droits

A l’occasion de la journée internationale du droit des femmes du 8 mars, les Archives départementales de l'Aude Marcel-Rainaud vous proposent d’aborder les vies de cinq femmes audoises, anonymes ou héroïnes, qui ont toutes en commun de montrer une facette des droits des femmes et leur place dans la société française de leur époque. Tous ces récits sont extraits de l’exposition  Femmes en pays d’Aude et la sélection de documents est librement utilisable en classe. 

Pagana de Villedeguert, la jeune fille sacrifiée

 XIIème siècle

On ne sait rien de Pagana de Villedeguert, pas même l'âge de cette jeune fille. On apprend juste au travers d'un acte authentique daté de 1174 (coté H 881), que son père, Bernard de Villedeguert, (lieu-dit dans l’actuelle commune de Ladern-sur-Lauquet) la donne, en son nom personnel et au nom de son épouse et de leurs enfants, au monastère Sainte-Marie de Rieunette, pour qu’elle y devienne religieuse. Cette « donation » s’accompagne de la cession de l’« honneur » (ou fief) qu’il possède à Urseira (autre lieu-dit dans l’actuelle commune de Ladern-sur-Lauquet). Ce bien est très précisément délimité et il semble se composer de terres cultivées, mais aussi de friches que le monastère pourra mettre en valeur.


Pagana n’est pas la seule, malheureusement, à subir cette destinée. Pourquoi les jeunes filles sont-elles ainsi offertes ? Avant tout pour assurer, par leurs prières, leur salut et celui de leurs familles. C’est aussi parfois un moyen pour les familles de faire face à des difficultés financières ou sociales. Elles se déchargent ainsi de l’entretien de leurs enfants handicapés. Elles résolvent des problèmes financiers : la dot concédée à un monastère est généralement moins importante que celle qu’on doit donner à une jeune fille lorsqu’elle se marie.

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Françoise de Cézelly, l’héroïne de Leucate

XVIème siècle

Héroïne bien moins connue que Dame Carcas, Françoise de Cézelly est célébrée pour la première fois en 1665 dans l’ouvrage d’un père jésuite, Pierre Le Moyne. Appartenant à une riche famille de commerçants de Montpellier anoblie en 1480, Françoise de Cézelly (née vers 1555) épouse en 1577 Jean Boursier, sieur de Barry. En 1589, la Ligue catholique soutenue par le royaume d’Espagne s’oppose au roi de France. Jean Boursier, du parti du roi, gouverneur de Leucate, est fait prisonnier en juillet 1589 par le duc de Joyeuse. Comme rançon, ce dernier exige la remise de la place de Leucate. Françoise de Cézelly, qui fait office de gouverneur à la place de son mari, refuse par fidélité au roi et à sa foi. Aussi Jean Boursier est-il exécuté en août 1589,  et Joyeuse fait déposer son corps à proximité du fort de Leucate. Dès lors, Françoise de Cézelly commande la place au nom d’Henri, son fils mineur, jusqu’à ce que celui-ci soit en âge de la remplacer en 1610. En témoignage de sa gratitude, Henri IV attribue à Françoise de Cézelly une pension de 1 000 livres. Il aurait même dit « qu’après tout, il estoit de la gloire de la France que l’on sceust que les dames y valoient des capitaines ».

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Jeanne la Noire, héroïne ou victime ?

XVIIIème siècle 

Jeanne Establet (née vers 1736 à Caux), dite la Noire (Negro), est condamnée à mort le 22 décembre 1792 par le tribunal criminel du département de l’Aude, pour attroupement armé et séditieux et pour assassinat. L’écrivain romantique Edouard Ourliac (1813-1848) la transforme en héroïne de légende dans son roman Jeanne-la-Noire.

La récolte de 1792 s’annonce bonne mais le prix des grains monte, à la suite d’achats réalisés par des négociants du Lauragais qui exportent de grandes quantités de blé vers la Provence. Le peuple s’insurge contre ceux qu’il considère comme des  accapareurs ». Du 11 au 16 août 1792, des habitants des villages de la Montagne Noire bloquent au Pont-Rouge les barques chargées de grains, venant du Lauragais et qu’ils suspectent de fraude. Les autorités publiques, s’efforcent de maintenir l’ordre. Le 17 août, c’est l’émeute : les insurgés s’emparent d’armes au château comtal et se rendent au siège de l’administration départementale. Le procureur général syndic du Département est sauvagement massacré. L’administration ramène le calme en taxant le pain et en alimentant en grains le marché de la ville. En décembre 1792, trois prévenus (dont Jeanne Establet) passent en jugement et sont condamnés à mort.

On peut s’interroger sur les motifs qui ont présidé à l’arrestation de ces trois personnes, qui ne sont pas plus coupables que tous les autres émeutiers. Les autorités ont voulu faire un exemple et ont choisi, sans doute à dessein, une femme pour lui faire endosser la responsabilité de l’émeute, soulignant peut-être ainsi les désastres provoqués par l’intrusion des femmes en politique.

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Catherine Lassère, le courage au quotidien

XIXème siècle 

Au XIXe comme au XXe siècle, la société aime à récompenser les actes de courage. A l’initiative d’institutions publiques ou de fondations privées, de nombreux prix viennent couronner et consacrer des « héroïnes ». Lorsqu’elles sont nécessiteuses, des secours financiers leur sont accordés. Ainsi, en juillet 1834, une somme de 300 F est accordée à Catherine Lasserre, « jeune fille qui, lors de l’incendie qui a éclaté à Limoux en 1832, a été grièvement blessée en déployant un courage au-dessus de son sexe, pour sauver des flammes des ballots de laine qui se trouvaient déposés dans la fabrique de M. Mouisse et Barthe » .  Vous apprécierez le «  un courage au-dessus de son sexe » qui trahit la faible estime des femmes que manifeste le ministre du commerce, auteur de la lettre. 

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Cécile Bourrel, martyre de la cause viticole

XXème siècle 

Entre le 11 mars et le 9 juin 1907, treize villes et villages du Languedoc sont le théâtre de manifestations de plus en plus suivies : 87 manifestants d'Argeliers à Narbonne le 11 mars, entre 600 000 et 800 000 à Montpellier le 9 juin. Toute une population, hommes, femmes et enfants, participe à ces rassemblements. La grande crise viticole (due à la fraude et à la mévente du vin) motive ces mobilisations. 
Le 20 juin 1907, à Narbonne, la situation est tendue. Un agent de la Sûreté parisienne est roué de coups, poursuivi par la foule et précipité dans le canal de la Robine. Secouru, il est conduit à l’hôtel-de-ville. C’est alors que les soldats, chargés du maintien de l’ordre, font feu. Une salve balaie la place de la mairie. Au nombre des cinq personnes atteintes mortellement, figure une jeune fille, Cécile Bourrel, âgée de 22 ans, employée de maison chez le pharmacien de Cuxac-d’Aude et venue ce jour-là à Narbonne. Ses obsèques se déroulent dans l’après-midi du 21 juin, en même temps que celles de deux autres victimes. Plus de 10 000 personnes suivent le convoi tandis que 20 000 autres sont massées sur les trottoirs.
Par son jeune âge et son innocence, Cécile Bourrel devient un symbole de la terrible répression qui frappe les vignerons en colère. Sur les lieux où sont tombées les victimes, les Narbonnais élèvent le soir même de petits monuments commémoratifs, faits de quelques pierres, de couronnes et de gerbes de fleurs. Ainsi, dans la rue du Pont, une pancarte est placée contre la devanture où est tombée Cécile Bourrel : « Ici est tombée, frappée à mort par le 139e, une jeune fille de 20 ans, de Cuxac-d’Aude ». C’est une martyre que la presse célèbre : « Les cheveux blond cendré forment une auréole autour du front de la petite martyre… Elle était venue, avec d’autres, de Cuxac pour pousser vers le Ciel son cri de détresse, d’espoir aussi… »

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