« Jeunesse, jeunesse ! Sois toujours avec la justice. »

« Jeunesse, jeunesse ! Sois humaine, sois généreuse ! » Emile ZOLA (Lettre à la jeunesse, 1897)

 

Journée du droit dans les collèges 

Organisée à l'initiative du Conseil national des barreaux et du ministère de l’Éducation nationale, de la Jeunesse et des Sports, la journée du droit dans les collèges se tiendra lundi 4 octobre 2021. Le thème de cette 4e édition est consacré aux injustices.

A  cette occasion, les Archives départementales de l'Aude reviennent sur deux grandes injustices qui ont marqué notre histoire locale et nationale : l'affaire Joseph Borras et l'affaire Dreyfus. Vous y retrouverez également de nombreuses ressources de nos fonds.

L’affaire Borras (1887-1891) : une injustice audoise ...

L’affaire Borras se déroule de 1887 à 1891, dans le Narbonnais. Joseph Borras est un ouvrier espagnol, condamné à mort par la cour d’assises de l’Aude, le 14 août 1887, pour avoir volé et assassiné, avec deux autres ouvriers espagnols, un couple de régisseurs, les Pradiès, le 26 mai 1887, dans une propriété viticole située au Petit Condom, aux alentours de Narbonne. Borras ne cesse de clamer son innocence. Il obtient, au bout de quelques mois, la commutation de sa peine en celle de travaux forcés à perpétuité. Des éléments prouvent néanmoins son innocence. Vincent Guilllaumet, un des supposés complices de Borras, avoue l’innocence de ce dernier. Le véritable meurtrier, Antonio Rosell y Llovet, est arrêté en Espagne à la fin de l'année 1887. 
C’est alors que Théophile Marcou, avocat, sénateur radical et président du Conseil général de l’Aude, convaincu de l’innocence de Borras, porte l’affaire devant le ministère de la Justice pour obtenir la grâce de son client. Cette bataille juridique et politique, destinée à dévoiler une erreur judiciaire,connaît alors un retentissement national. En mai 1890, Joseph Borras est finalement gracié par le président de la République. Théophile Marcou,qui demande ensuite sa réhabilitation pour que son innocence soit enfin reconnue, décède au moment d’engager ce nouveau combat.


 

... qui en rappelle une autre: l’affaire Dreyfus (1894-1899) dans Le Courrier de l’Aude

Dirigé par Hippolyte de Bordas, Le Courrier de l’Aude paraît tous les jours de la semaine, à l’exception du lundi, entre 1854 et 1929. Ses bureaux se situent à Carcassonne, dans la rue de la Mairie. Sa devise figure sous le titre : « Vive le Christ qui aime les Francs (loi salique) ». Le Courrier de l’Aude se situe clairement parmi la droite catholique, favorable à l’Armée et aux idées royalistes. Aussi, il n’est pas étonnant que ce journal fasse partie de la presse antidreyfusarde.


Alfred Dreyfus est né le 9 octobre 1859, à Mulhouse, dans une famille de juifs alsaciens installés depuis plusieurs siècles. En 1870, la France perd la guerre face à l’Empire allemand. La famille Dreyfus fait le choix de prendre la nationalité française. Alfred entre dans l’armée et devient officier. A la fin du XIXe siècle, la France est traversée par un fort courant antisémite dont Edouard Drumont est un des principaux porte-parole. En 1892, la feuille de Drumont, La Libre Parole, accuse les officiers juifs d’être des traîtres. 
En 1894, le contre-espionnage français intercepte un bordereau non signé prouvant la trahison d’un officier français avec l’Empire allemand. Le 15 octobre 1894, le capitaine Dreyfus est arrêté. Son écriture ressemblerait à celle du bordereau mais, en réalité,c’est surtout parce qu’il est juif. La presse antisémite se déchaîne partout en France. 
En décembre, un conseil de guerre condamne le capitaine Dreyfus à la déportation perpétuelle et à la dégradation militaire. Dreyfus n’a de cesse de crier son innocence. Il est envoyé à l’Ile du Diable, au large de la Guyane. 
 

Le Courrier de l’Aude, jeudi 20 décembre 1894:

En plein procès Dreyfus, la 2e colonne de la page 3, intitulée « Haute trahison » liste les arguments accusant Dreyfus :
1-    On a la preuve de la trahison de Dreyfus.
2-    Si le général Mercier, ministre de la guerre, poursuit Dreyfus, « c’est qu’il a reconnu la culpabilité du traître ».
3-    Les experts déclarent que le bordereau est bien de la main de Dreyfus.
4-    « Il y a bien d’autres pièces plus accablantes encore ».
5-    Les antécédents de Dreyfus sont mauvais, il mène une « louche existence ».
6-    Dreyfus est d’origine allemande, sa famille vit à Mulhouse.
 

En 1896, le commandant Picquart du contre-espionnage, découvre la preuve de l’innocence de Dreyfus, en comparant l’écriture du fameux bordereau à celle de l’officier français Esterhazy. Picquart avertit ses supérieurs qui décident de taire cette découverte et de se débarrasser de lui en l’envoyant en Tunisie. En 1897, le frère du capitaine Dreyfus, Mathieu, accuse publiquement Esterhazy. Le camp des « dreyfusards » grandit. Un Conseil de guerre est organisé en janvier 1898 pour juger Esterhazy. Celui-ci est finalement acquitté. Dès le lendemain, l’écrivain Emile Zola écrit le fameux « J’accuse », publié dans l’Aurore du 13 janvier. Il y affirme la culpabilité d’Esterhazy et l’innocence de Dreyfus.

Le Courrier de l’Aude, vendredi 14 janvier 1898:

Le Courrier de l’Aude se félicite ici de l’acquittement d’Esterhazy. Il publie un article de Drumont en première page. Ce dernier donne le ton dès le début : « Vive l’Armée. A bas les Juifs. » L’ensemble ne contient que des injures et des mensonges.
 

Zola est condamné pour son article. Esterhazy s’enfuit en Angleterre. Le colonel Henry, qui avait falsifié le bordereau, avoue pendant le procès et est emprisonné. Il est retrouvé mort, la gorge tranchée, le lendemain. 
En 1899, la révision du procès Dreyfus s’ouvre. Dreyfus est renvoyé devant le Conseil de guerre. Esterhazy, toujours en Angleterre, avoue avoir écrit le bordereau. Malgré toutes les preuves réunies, le Conseil de guerre de Rennes déclare à nouveau Dreyfus coupable de trahison avec circonstances atténuantes. Il est aussitôt gracié par le président de la République, Emile Loubet. Ce n’est qu’en 1906 que la réhabilitation de Dreyfus est totale.
 

Le Courrier de l’Aude, mercredi 7 juin 1899:

Malgré la grâce de Dreyfus, il reste coupable de trahison pour Le Courrier de l’Aude qui continue à remplir ses pages d’informations et de prises de position sur l’affaire.
 

Deux grandes injustices

La comparaison des deux affaires est instructive. 


Plusieurs points communs se dégagent de ces deux affaires. D’une part, la « question de la politisation du “problème des étrangers” » (Solange de Fréminville) apparaît clairement. Depuis les années 1880, la presse à grand tirage véhicule des stéréotypes négatifs tels que « l’Italien au couteau » et « l’espion allemand ». L’immigré est devenu « l’ennemi de l’intérieur ». Les partisans du général Boulanger, nommé ministre de la Guerre en 1889, stigmatisent les étrangers et mènent une campagne en faveur du contrôle de leur séjour et de la protection du travail national. C’est dans ce contexte, où s’orchestre tout un discours sécuritaire, que se déroulent nos deux affaires.
D’autre part, ces deux affaires sont largement relayées par la presse qui devient un nouvel acteur majeur de l’espace public. Les quotidiens populaires régionaux prennent position. Le Courrier de l’Aude se montre très partisan, voire favorise l’erreur judiciaire et sa persistance en imposant son interprétation de la réalité. Le quotidien reste convaincu de la culpabilité des deux hommes, Borras et Dreyfus, et ce malgré leurs grâces respectives.
Enfin, Dreyfus et Borras sont tous deux défendus par des hommes engagés contre l’erreur judiciaire : Emile Zola et Théophile Marcou, qui en font un combat personnel.


La comparaison entre l’affaire Dreyfus et l’affaire Borras est tout aussi instructive par les différences qu’elle souligne. La condamnation du capitaine Dreyfus a progressivement suscité une mobilisation très large en sa faveur dans l’espace public, rassemblant des intellectuels, tels qu’Emile Zola, et des hommes politiques républicains. Borras, l’ouvrier espagnol, a trouvé quelques soutiens privés, mais très peu d’appuis publiquement affichés. Seul,Théophile Marcou, avocat et sénateur radical de l’Aude, a prit sa défense et mené le combat sur le plan judiciaire et politique. 
Pour l’affaire Borras, la France ne s’est pas divisée en deux camps, comme cela fut le cas entre dreyfusards et antidreyfusards. Son impact fut limité sur le plan national et international, à la différence de l’affaire Dreyfus qui a eu de nombreuses conséquences politiques et sociales. Toutefois, il est possible que l’affaire Borras ait eu des effets au niveau national. Elle a servi d’argument en faveur du décret du 2 octobre 1888, qui astreint les étrangers résidant en France à déclarer leur présence auprès des autorités municipales. Elle a également contribué à susciter une réforme de la justice, qui intervient le 8 juin 1895 et ajoute un quatrième motif à la révision des décisions de justice en matière pénale : l’apparition d’un fait nouveau de nature à établir l’innocence du condamné.
 

Bibliographie :

CARTIER (Clément), Les grandes affaires criminelles de l'Aude. De la Révolution à 1975, Toulouse, éd.Privat, 1996.

CAZALS (Rémy), Les grandes injustices devant l’opinion, Carcassonne, Archives départementales de l’Aude, 1993.

FREMINVILLE (Solange de), « L’affaire Borras », Migration et Société, n°145, 2013, p.17-36.

LAGORCE (José), Les grandes affaires criminelles de l’Aude, Paris, De Borée, 2010.



 

La Déclaration des droits de l'Homme et du Citoyen dans nos fonds