Archives départementales, Patrimoine

Le territoire dans tous ses états ! #11 Les variations du lit de l’Aude

variations Aude
Archives Nationales, N III Aude 9/12, Plans de l’embouchure de l’Aude.

Le fleuve Aude, qui prend sa source dans le massif du Carlit, au lac d'Aude (Pyrénées-Orientales), se jette dans la mer Méditerranée, à quelques kilomètres de Narbonne, entre les Cabanes de Fleury et Vendres (Hérault). Essentiel à la commune de Narbonne, les variations de son lit au cours des siècles derniers ont créé beaucoup de soucis à ses habitants !

Cette chronique vous est présentée dans la rubrique Le territoire dans tous ses états !

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Du « fleuve Atax » à la « rivière Aude »


L’évolution du cours de l’Aude, des étangs proches de Narbonne et l’emplacement du port antique de la capitale Narbonnaise ont depuis longtemps intéressé les chercheurs.


Dans l’Antiquité, Narbonne est située sur l’Atax, ancien nom du fleuve Aude, évoqué par Strabon dans sa Géographie : « Quand on part de Narbonne, on remonte d’abord l’Atax sur une faible distance, puis on effectue la plus grande partie du trajet, soit environ 700 ou 800 stades, par terre jusqu’à la Garonne ». En aval, un bras de l’Aude se dirigeait vers les étangs de Bages et de Sigean. Les fouilles archéologiques récentes ont montré « que l’embouchure du fleuve dans les étangs avait fait l’objet de travaux monumentaux pour canaliser le cours d’eau et développer des espaces de déchargement ».


Gilbert Larguier, dans son article sur l’inondation de 1316, nous rappelle que le cours du fleuve n’est pas précisément connu, malgré les recherches entreprises depuis le XIXe siècle : « Quel était exactement le lit de l’Aude au début du XIVe siècle : unique ou déjà ramifié ? ». Plusieurs robines, c’est-à-dire canaux ou fossés creusés pour évacuer un trop-plein d’eau, canaux de drainage, de dérivation d’un cours d’eau principal, sont mentionnés dans les textes du début du XIVe siècle. L’Aude comportait-elle alors plusieurs « branches », plus ou moins importantes ?
 

Variations du lit de l’Aude au XIVe siècle


Les divagations de ce fleuve ont représenté un problème récurrent dans l’histoire de Narbonne depuis l’Antiquité. A partir du XIVe siècle, des aménagements sont réalisés afin que le cours du fleuve soit plus stable et surtout qu’il continue à alimenter la ville. Suite à l’inondation de 1316, les Narbonnais se lamentèrent de n’avoir plus accès au fleuve, qui leur permettait d’aller jusqu’à la mer, de commercer, d’avoir de l’eau courante et d’éviter de se retrouver exposés aux odeurs nauséabondes et aux épidémies. Il a fallu une décennie pour que des travaux soient mis en place : il fallait tenter de restaurer le lit naturel de l’Aude tout en évitant de nouvelles inondations de grande ampleur, en cas d’épisode climatique violent. 
 

 

En 1345, des lettres de Pierre de Bourbon, lieutenant du roi en Languedoc, conservées aux Archives municipales de Narbonne (CC 2275) confirment pour trois ans que les consuls ont le droit de conserver la barrière qu’ils ont été autorisés à établir pour construire le pont des Frères Prêcheurs, à condition que les revenus qui en proviendront seront employés aux réparations destinées à ramener la rivière dans son ancien lit, entre les deux portions de la ville, et aux réparations des chemins qui ont été détruits par les inondations. Avant le déplacement de la rivière, les navires arrivaient chargés de leurs marchandises jusque dans la ville. Depuis, la navigation en ville avait donc cessé et c’était pour l’y ramener que les consuls voulaient rétablir la rivière dans son ancien lit. 

 

Des travaux importants ont été réalisés en 1346. Soigneusement préparées par des experts, la consolidation des rives et des anciennes robines, mais aussi l’édification d’une « solide paissière afin d’orienter une partie des eaux du fleuve vers la ville » sont prévues, comme le rappelle Gilbert Larguier. Ce projet marque un « bouleversement de la topographie des basses plaines ». Le lit naturel de l’Aude ne coulant plus entre la Cité et le Bourg, « Narbonne, en quelque sorte, n’était plus Narbonne ». L’historien rappelle aussi que cette décision marque, pour certains contemporains, le début de la décadence de la ville. 


Cette paissière, dont la création est mentionnée dans l’accord de 1346 passé entre la ville de Narbonne, le vicomte, l’archevêque et les chapitres, se concrétise rapidement. Appelée « paissière de 1346 » ou « paissière de Cuxac », cet ouvrage de dérivation des eaux de l’Aude vers Narbonne « ne répondit pas aux espoirs placés en elle ». Gilbert Larguier souligne que le nouveau lit de l’Aude n’était pas encore stabilisé lors des travaux de construction de la paissière, ce qui n’en facilitait pas la réalisation. Les crues annuelles continuaient de causer de multiples brèches qui pouvaient rendre cet ouvrage temporairement inopérant. 

 

Le rôle du fleuve dans la décadence de la ville


En 1416, un mandement de Charles VI, conservé dans les archives narbonnaises (CC 111), enjoint, en vertu des lettres d’exemption accordées en 1411 à la ville, de ne pas la comprendre dans la répartition du subside imposé pour la reprise d’Harfleur, « à cause de la grant diminucion, pertes, deffortunes et autres pestilences que la ville, cité et bourg… ont souffert depuis aucun temps en ça ». De nombreux documents attestent cette situation, qui allait s’aggraver d’année en année, depuis le déplacement du lit de la rivière à la suite de grandes inondations et depuis la ruine du bourg et des faubourgs de Narbonne, à cause de la chevauchée du prince de Galles.
 

 

 

 

En effet, la ville perdit alors un grand nombre d’habitants ; ceux qui restaient étant réduits « à la condition la plus misérable, victimes d’une succession de calamités dont la principale était l’abandon par l’Aude de son droit cours parmi la dicte ville, Bourc et Cité, ce qui vouait les anciens moulins à l’inaction, obligeait à aller faire moudre les grains à plus de deux grandes lieues ». La population de Narbonne était alors descendue en dessous de 1 000 habitants. Plus des trois quarts des maisons de la ville étaient désertes et menaçaient ruine.


Narbonne était exposée à de grandes inondations, qui détruisaient les labourages, multipliaient les eaux stagnantes, entrainant ainsi une grande insalubrité et des maladies. Près d’un quart des maisons auraient été démolies. Cependant, la situation n’était peut-être pas aussi critique que les consuls la dépeignaient, voulant surtout demander des exemptions d’impôts, notamment de la taille, mais la ville a néanmoins bel et bien souffert de cette perte d’accès direct au fleuve.

 

Bibliographie


Larguier (Gilbert), « Catastrophe naturelle et effets à long terme : l’inondation de 1316 et le changement de lit de l’Aude », Bulletin de la Société d’Etudes Scientifiques de l’Aude, tome CXVIII, 2018, p. 79-96.


Sanchez (Corinne), Duperron (Guillaume), Jézégou (Marie-Pierre), Mathé (Vivien), « Paysages littoraux et zones humides : paléo-environnement et aménagement », Dialogues d'histoire ancienne, vol. 46, n° 1, 2020. p. 252-265.