Patrimoine, Archives départementales

Le territoire dans tous ses états ! #9 Grêle et agriculture : faire face aux dégâts (XVIIIe-XIXe siècles)

grêle
AD 11 G 282 f° 45 v° - Délibérations du chapitre cathédral de Carcassonne (1766). © Archives départementales de l'Aude

De nos jours, en cas d’épisode grêleux important détruisant des cultures, agriculteurs et viticulteurs ont recours à leur assurance qui couvre une partie des pertes des récoltes, notamment l’estimation de la baisse du rendement attendu. En raison de la multiplication des incidents climatiques, les agriculteurs souhaiteraient voir ce système d’indemnisation réévalué. Mais qu’en était-il il y a quelques siècles ?
 

Cette chronique vous est présentée dans la rubrique Le territoire dans tous ses états !

Publié le

Peu nombreux mais violents, les orages avec grêle interviennent une fois par an en moyenne, et sont surtout localisés dans le nord et le sud du département d’après la monographie agricole de l’Aude réalisée en 1958 par le Ministère de l’Agriculture (Q° 1726). 

 

Perdre ses récoltes sous l’Ancien Régime

 

Le bail à ferme, apparu au XIIIe siècle, est un contrat par lequel un seigneur (laïc ou religieux) loue pendant 3, 6 ou 9 ans une de ses terres en échange d’une partie de la récolte faite sur cette terre. A chaque renouvellement de bail, les conditions et clauses peuvent être revues. Ce renouvellement permet au seigneur de réaffirmer son droit de propriété sur ses terres. 
Ainsi, lorsqu’un bail à ferme relie un paysan au propriétaire d’une terre, celui-ci est tenu de payer chaque année une redevance à son seigneur, inscrite dans le bail. Or, en cas d’intempérie et de perte d’une partie des fruits (dont le raisin) ou des céréales, habituellement récoltés, il est alors dans l’incapacité de payer son dû. Le montant du loyer est fixe, alors que la récolte évolue d’une année sur l’autre. On comprend donc aisément qu’un violent orage, une période de sècheresse, un accident corporel… peuvent très vite mettre en péril des familles qui n’ont alors ni épargne, ni autre revenu pour combler ce déficit. Les fermiers devaient alors demander aux propriétaires des remises exceptionnelles. 


Les registres de délibérations du chapitre cathédral de Carcassonne proposent plusieurs exemples de pourparlers entre les paysans exploitant les terres du chapitre et les chanoines, au sujet du montant des loyers et des dîmes en cas de perte de récolte suite à un orage grêleux. 
Une indemnité de 250 livres est par exemple accordée en octobre 1765 aux fermiers du vin de Gougens, à cause de la grêle. Les sieurs Avar et Albert avaient demandé que le chapitre soit informé que la récolte du vin était pauvre, mais qu’ils avaient quand même payé les 24 charges de vin « qu’ils se sont obligés de payer chaque année par le bail de leur ferme » et ils espéraient « que le chapitre voudroit bien leur accorder une indemnité sur le prix de ladite ferme ».
 

 

Lorsque les paysans voyaient leur récolte partiellement ou totalement détruite suite à un épisode grêleux, il était courant de procéder à une estimation des dégâts. Le 7 juin 1766, le chapitre accorde une indemnité de 40 livres « aux fermiers de Trèbes pour la grêle ». Il est précisé que cette indemnité est versée suite à une « vérification du domage causé par la grêle tombée le 23 du mois de may dernier, les experts respectivement nommés avoient estimé le dégât à 40 livres ». Décision est donc prise de soutenir les paysans touchés par cet épisode : « Délibéré unanimement qu’il sera précompté aux fermiers dudit Trèbes ladite somme de 40 livres sur le prix de leur bail pour le domage qu’ils ont souffert de la grêle ».

 

De nouvelles clauses sont introduites dans les baux à ferme au sujet des indemnités dues pour la grêle. Mais le chapitre cathédral de Carcassonne ne souhaite pas voir ses revenus baisser ! 
« le contrat de cette ferme devoit être passé aujourd’huy, mais comme quelqu’un de la compagnie trouve que les clauses stipulées lors du cas de grelle sont désavantageuses au chapitre, ils auroient suspendu la passation du susdit contract », les sindics sont alors « priés d’examiner et vérifier dans les comptes qui ont esté rendus depuis environ vingt cinq ou trente années, les indemnités qui ont esté accordées aux fermiers pour le cas de grele ». 
 

 

Des oppositions à ces nouvelles clauses dans les baux à ferme sont notées dans les registres de délibérations du chapitre (G 281). Monsieur de Moleville, chanoine, avertit du « grand préjudice [pour le chapitre] s’il arrivoit une grêle considérable comme par exemple celle qui arriva en 1757 ou 1758 ». Cela « couta que sept à huit cent livres » car un « abbonement au fermier » avait été proposé et accepté par celui-ci, sans aucune évaluation des dégâts. Or, « l’expert avoua après l’opération faite que si l’on fut entré dans un détail, il auroit estimé la perte à plus de la moittié des fruits, perte par conséquence qui auroit couté au chapitre et aux Bénédictins environ 5000 livres » ! On comprend pourquoi ce dernier préfère négocier au cas par cas avec les fermiers et ne pas inscrire dans un acte notarié des clauses fixes de dédommagement !

 

Mise en place d’assurances spécifiques aux dégâts causés par la grêle


L’agriculture étant une activité dépendante des risques naturels, le besoin en assurances se fit très tôt ressentir. Or, il fallut attendre la loi de 1884, relative aux syndicats professionnels, pour voir naître des organisations agricoles locales destinées à couvrir les principaux risques naturels (perte de bétail et intempéries - les accidents personnels ne sont pas encore envisagés). Environ 200 mutuelles agricoles furent créées au XIXe siècle, mais seulement 50 existaient encore en 1900. Elles concernèrent d’abord les incendies et la perte du bétail.
Depuis 1819, une partie du budget du Ministère de l’agriculture était destinée à secourir les victimes de calamités agricoles, mais ce secours était minime car il ne pouvait dépasser 5% des pertes. Jules Méline, Président du Conseil et Ministre de l’agriculture, proposa alors de consacrer une partie des sommes allouées jusque-là aux secours, à des subventions aux sociétés d’assurances mutuelles agricoles. De là résulte cette circulaire du Ministre de l’agriculture du 15 avril 1898 (7 M 585). Tous les risques agricoles (grêle, incendie, perte du bétail) étaient alors pris en compte.
 

 

Ce n’est donc qu’en 1900 qu’une loi entra en vigueur, non sans mal. Dans la sous-série 7 M (Agriculture), sont conservés plusieurs statuts de sociétés d’assurances pour les divers risques encourus par les agriculteurs. 

 

Bibliographie


Chalmin Philippe, Les assurances mutuelles agricoles, Paris, 1987. (D° 1958/1)