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Le territoire dans tous ses états ! #5 L’exploitation des forêts audoises - 2e partie (XVIIIe-XIXe siècles)

maison forestière
AD11 F°6/392 - Maison forestière du Prat dal Rey © Archives départementales de l'Aude

Au XVIIIe siècle, l’accroissement de la population, le développement des villes et des industries appauvrissent encore les forêts. Le bois est alors de plus en plus rare et cher. La Révolution vient mettre à plat les anciens privilèges et restaure la liberté d'exploitation forestière, ce qui conduit au pillage de la forêt, jusqu’à la réorganisation de la gestion forestière en 1827. Les forêts audoises n’échappent pas à cette nouvelle réorganisation ni, quelques décennies plus tard, au processus de reconstitution des massifs forestiers. 


Cette chronique vous est présentée dans la rubrique Le territoire dans tous ses états !
 

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Redistribution des propriétés à la Révolution


Dès 1791, la suppression des maîtrises des eaux et forêts et la recomposition des forêts du royaume avaient imposé à la nouvelle administration forestière de s’organiser, structurellement et humainement. Michel Noël cite l’exemple des communautés rurales qui vont revendiquer des espaces boisés, invoquant d'anciens accords, comme le fit la communauté de Ladern, du district de Limoux, le 28 janvier 1791, en rappelant ses titres de propriété et usages dans la forêt de Rieunette : « La communauté de Ladern a le droit et jouissance d'une partie du bois de la forest de Rieunette, de contenance la dite partie de bois de cinq cents arpents, mesure de Toulouze, situé le dit bois à l'extremite du terroir du dit Ladern, du cotte du levant, appartenant cidevant aux dames abbesses religieuses de l'abbaye de Rieunette, séantes à présent à Lombes. Les habitants de ladite commune ont encore le droit et faculte dy faire depaitre leurs cabaux tant gros que menus sur la ditte partie de bois.. Mais ces droits, usages et facultés ne sont établis en faveur de la ditte commune quen vertu d'une transaction passée, entre les dittes dames abbesses de Rieunette et la commune le 1er mai 1322. Dans lesquels droits, usages et facultés, la communauté fut maintenue par sentence du sénéchal de Carcassonne du 26 avril 1629 par laquelle il est fait inhibition et deffenses aux dites dames de troubler les dits habitants dans leurs droits et usages a peine de 500 livres d'amende. » (document coté 5 L 145). Les administrateurs du district de Limoux donnent leur accord pour que les habitants soient maintenus dans leur droit d'accès à la forêt.
 

 

En Languedoc et en Roussillon, les administrateurs départementaux vont également s'élever contre les dévastations des bois par délits et publier des arrêtés comme celui du Directoire de l'Aude : « L'administration centrale du département de l'Aude, instruite qu'il se commet des dévastations dans la forêt de Crausse, qu’elles sont authorisées par le silence de l’administration municipale du canton de St Hillaire, que certains membres de l'administration municipale y font des coupes extraordinaires, que quoique certaines communes paroissent y avoir un droit d’uzage, personne sous ce prétexte ne peut y faire des coupes sans y être préalablement authorisés [...] arrête : 1. L'administration municipale du canton de St Hilaire est et demeure personnellement responsable de tout délit forestier qui se commettrait dans la forêt nationale dite de Crausse. 2. Elle est chargée de dénoncer au Juge de paix du canton les délits qui y ont été commis […] » (document coté 8 L 404)

Le Code forestier de 1827


Fondée à Nancy en 1824, l’École royale forestière forme désormais les officiers forestiers. Brigadiers et gardes forestiers remplacent les anciens sergents et gardes des bois du roi. Le Code forestier, promulgué en 1827, indique que « les gardes forestiers résideront dans le voisinage des forêts ou triages confiés à leur surveillance. Le lieu de leur résidence sera indiqué par le conservateur ». On construit alors massivement ou on réaménage des « maisons forestières ».

Le code forestier de 1827 tenta également de réorganiser la gestion forestière, en limitant souvent les droits d'usage des communautés paysannes. Dorénavant, dans les bois communaux, l'introduction de chèvres est interdite, de même que tout défrichement ; le parcours des bêtes à laine y est strictement réglementé. Les conseils municipaux, dotés de communaux forestiers, ont le sentiment d'être dépossédés d'une de leurs principales richesses. Les habitants des communes forestières se sentent livrés à l’arbitraire de l'administration. D'autre part, cette loi diminue fortement les possibilités de ressources que ces populations tiraient des bois. En réponse, des révoltes vont se multiplier et les délits continuent. Les historiens estiment que la régression de la forêt française a atteint son paroxysme en 1830 (15% du territoire contre 31% actuellement).

La reconstitution des massifs forestiers (XIXe siècle)


Vers le milieu du XIXe siècle, toutes les atteintes à la forêt (surpâturage, cultures sur terrains en pente, défrichements, exploitation à usage industriel) causent des dommages aux sols, une érosion active, des inondations en plaine. Des recherches conduites sur les causes des inondations importantes sont à l'origine d'une prise de conscience des risques de déboisement en montagne et d’une loi promulguée en 1860 pour encourager le reboisement des massifs montagneux (dite loi RTM pour Restauration des Terrains de Montagne). C’est ainsi que dans le Cabardès ont été alors plantés des taillis de châtaigniers. Mais la moitié des forêts audoises appartient à des particuliers, qu’il a fallu subventionner pour encourager le reboisement de leurs parcelles. Dans la seconde moitié du XIXe siècle, en raison des besoins accrus, l'importation des bois étrangers s'est développée, et on fait alors venir des bois de Russie, de Norvège et de Suisse.
 

 

Bibliographie 

 
Administration des Eaux et forêts, L'économie forestière et pastorale et le problème de la restauration des sols dans le département de l'Aude, 1961 (B°116/1)
Fabre E. et Surjus A.-L., « Forêt de déprise, forêt d’emprise : colonisation forestière et maîtrise de l’espace boisé en Chalabrais (début du XIXe – fin du XXe siècle) », dans Abbé J.-L. (éd.), Une longue histoire, la construction des paysages méridionaux. Actes du colloque de Carcassonne, 23 et 24 mai 2008, 2012, p. 105-116. (D°4919)
Fruhauf Ch., « Les délits forestiers en Pays de sault au XVIIIe siècle », Annales du Midi, 1983, p. 391-428. (10 PER 74)