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Le territoire dans tous ses états ! #6 Territoire partagé, territoire contesté. Les garrigues de Conques-sur-Orbiel

Plan des terres revendiquées par Villegailhenc, 1866, 1M324 © AD11

Retrouvez l'histoire mouvementée de la lutte entre deux villages audois, Conques-sur-Orbiel et Villegailhenc, à propos d'un territoire  partagé et contesté pendant des siècles.


Cette chronique vous est présentée dans la rubrique Le territoire dans tous ses états !
 

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Bien souvent, quelque soit la période historique concernée, le territoire peut être source de conflits multiples et de querelles sans fin. A chaque fois, c’est la contestation des limites existantes, et des droits de propriété qu’elles confèrent, qui constitue le cœur du débat. Ainsi, dans les époques anciennes où la terre est la principale richesse et source de subsistance, la question des droits d’usage est particulièrement sensible, car elle conditionne étroitement la vie quotidienne des communautés rurales. En l’occurrence, le territoire contesté est donc bien souvent un territoire partagé, même si les conditions de ce partage sont sans cesse remises en question. Les garrigues situées entre les communes de Conques et de Villegailhenc fournissent à ce titre un bon exemple de contentieux séculaire, jamais totalement réglé.


Le statut incertain des garrigues


En 1247, c’est le roi de France, Louis IX, qui devient seigneur de Conques, puisqu’il récupère les droits de la famille Trencavel. Cette seigneurie inclut alors une vaste zone de garrigues calcaires, située au Nord-Ouest et formant un large plateau creusé par plusieurs ruisseaux : les terroirs d’Azac, de Vic et de Villeraze. Toutefois, l’abbé de Lagrasse fait valoir qu’il possède certains droits sur ces espaces, au titre d’une donation réalisée par Louis VIII. En 1257, le monarque cède donc à cette demande et accorde finalement au monastère 300 livres de revenus annuels. En 1284, c’est finalement un paréage qui est conclu entre Philippe Le Hardi et l’abbaye. Au terme de celui-ci, le roi et l’abbé gèrent désormais la seigneurie à part égales et y exercent conjointement la justice. Cet acte entérine bien évidemment le système agro-sylvo-pastoral d’exploitation des garrigues, et permet aux conquois de faire paître leur bétail, de couper du bois de chauffage et de récupérer de la pierre à chaux. Toutefois, il ignore les besoins de l’autre communauté située en bordure de ces territoires : Villegailhenc. 
En 1340, afin de mettre un terme aux interminables discussions existantes entre les moines de Lagrasse et les habitants des deux villages, l’autorité royale décide de faire procéder au bornage des garrigues. Deux ans plus tard, l’opération est entérinée par un accord entre les différents protagonistes. Celui-ci reconnait que ces espaces dépendent du territoire de Conques, mais autorise notamment les gens de Villegailhenc à utiliser les terres du fief d’Azac et leur y reconnaît des droits de pacage, d’affouage et de lignerage, moyennant le paiement de redevances à la communauté de Conques, également chargée d’un rôle de police. Hélas ! Cette transaction ne met pas fin aux hostilités, qui ne cessent de se ranimer au fil du temps, donnant lieu sous l’Ancien Régime a une multitude de décisions judiciaires, dont un arrêt de la Cour des Comptes et Aides de Languedoc en 1775. Plus ou moins régulièrement, les habitants de Villegailhenc réclament donc des droits d’usage exclusifs et élèvent des prétentions à la propriété contre leurs voisins.
 

Des siècles de contentieux


A la Révolution, avec la suppression des droits féodaux, c’est la commune que Conques qui voit les précieuses garrigues tomber dans son escarcelle. Désormais, il s’agit de vacants communaux, soumis à une pression agricole grandissante. Enhardis par la nouvelle situation administrative, les gens de Villegailhenc envahissent rapidement le terroir d’Azac, situé aux portes de leur village, qu’ils défrichent intensivement. De plus, ils sollicitent du Directoire départemental la modification des limites communales et le rattachement de ce territoire de 700 ha. Comme auparavant, c’est alors le début d’une longue lutte judiciaire, qui s’est poursuivie jusqu’au XXe siècle. En 1818, ce sont surtout la pérennisation des droits d’usage et les redevances imposées par Conques qui constituent la pomme de discorde. La procédure s’étire pendant près de dix ans et aboutit à la confirmation des droits, bien que les terres continuent à dépendre administrativement de Conques. Pendant ce temps, sur le terrain où les belligérants voisins se rencontrent, les querelles sont fréquentes et se transforment parfois en rixes sanglantes. Dès 1829, une nouvelle instance est introduite par les conquois pour limiter les droits d’usage de leurs adversaires, sans en contester toutefois la légitimité. Cette fois, force est de constater que la propriété des zones concernées n’a jamais été clairement établie par le tribunal. Une fois encore, celui-ci y renonce et se contente de nommer des experts pour délimiter les deux zones d’utilisation des vacants, en prenant appui plus ou moins pour se faire sur l’actuelle Route Départementale 118.
En 1846, 1850, 1851, 1866 et 1891, Villegailhenc renouvelle ses requêtes devant le tribunal de première instance de Carcassonne. A chaque fois, les juges sont obligés de prendre en considération des pièces anciennes, remontant parfois au XIVe siècle, et de faire appel à des archivistes pour les transcrire et les traduire. A chaque fois, les procédures traînent en longueur pour aboutir le plus souvent à un statu quo, révélateur de l’embarras des juges à trancher sur le fonds. Dans les années 1990 encore, un contentieux entre deux sociétés de chasse ravive les braises et fait craindre une reprise des procès. On ressort, une fois de plus, le vieil accord de 1352, sur la base duquel chaque partie réaffirme ses prétentions et son bon droit.
 

Après plus de 700 ans de disputes, le vieux territoire, partagé de fait depuis longtemps, demeure donc un éternel enjeu et sujet de contestation. Transformé, reboisé, planté partiellement de vignes, abandonné par les moutons, il n’en constitue pas moins le cadre permanent d’une querelle de clochers qui refuse de s’éteindre.

Bibliographie


Capéra (Jean-Claude) et Marquié (Claude), « Les garrigues de Conques de la Préhistoire à la Révolution », Bulletin de la Société d’études scientifiques de l’Aude, tome 106, 2006, p. 153-164.
Capéra (Jean-Claude) et Marquié (Claude), « Les garrigues de Conques depuis la Révolution de 1789 », Bulletin de la Société d’études scientifiques de l’Aude, tome 107, 2007, p. 135-147.
Pébernard (Denis), Histoire de Conques-sur-Orbiel…, 1899, 314 p.