Patrimoine, Archives départementales

Archives vagabondes #1 A la poursuite des Cosaques Blancs

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Certains documents d'archives locales participent, de façon inattendue, à la découverte de mondes lointains, bien différents des campagnes audoises. Carnets de voyages, correspondances, dessins ou photographies ; ces archives vagabondes racontent les liens, plus fréquents qu'on ne le croit, entre l'ici du quotidien et des ailleurs réels ou imaginaires.

Pour ce premier épisode, découvrez les cosaques blancs. Cette chronique vous est présentée dans la rubrique Archives vagabondes

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Parmi les immigrés de la première moitié du XXe siècle arrivés sur le sol français, c’est le cas de ceux qu’on appelle communément les « Russes Blancs ». Au sein de cette appellation, qui finit par recouvrir l’ensemble de l’émigration russe, il s’agit surtout de personnes ayant fui l’arrivée au pouvoir du régime des Soviets, avec la Révolution de 1917, et la terrible guerre civile qui s’ensuivit. On y trouve notamment les opposants politiques des Bolcheviques, mais aussi les survivants des armées impériales, restées fidèles au Tsar, peu à peu poussés par les victoires de l’Armée Rouge vers les marges de l’Empire (Ukraine, Caucase, Finlande, …). 


Après un première vague d’émigration (1917), qui touche plutôt les élites aristocratiques, surviennent deux autres vagues, plus populaires, qui culminent en 1919 mais s’étalent jusqu’en 1925. La France a donc été incontestablement une des destinations privilégiées par ces émigrants. Dans les années 1930, on estime le nombre des russes présents sur le territoire français à près de 100 000. Les plus fortunés se retrouvent souvent à Nice et sur la Côte-d’Azur (Russes de la Riviera) ou à Paris, dont l’ambiance culturelle russe est notamment décrite par l’écrivain Joseph Kessel. Quant aux autres, ils se regroupent le plus souvent autour des centres industriels, où ils trouvent facilement du travail, et mettent aussi leurs bras au service de l’agriculture française, dans des campagnes dépeuplées par la Grande Guerre. 


Il en est ainsi de Théodore Semerniakoff, un ancien cosaque blanc originaire de la région du Don, où il naît le 12 février 1891, et de son épouse polonaise Anna Belinska, née à Mathow le 25 mai 1901. Arrivé en France par Constantinople, puis Marseille, il s’engage pour quelques années dans la Légion Etrangère, avant de retourner à la vie civile. Dans les années 1920-1930, il exerce la profession d’ouvrier agricole, se déplace fréquemment de ferme en ferme et réside ainsi dans plusieurs communes différentes des départements du Tarn, de la Haute-Garonne et de l’Aude (Monthaut, Payra-sur-l’Hers, Castelnaudary, Bellegarde-du-Razès). Au cours de ses pérégrinations, le couple donne naissance à dix enfants, dont certains s’installeront définitivement en terre méridionale.  
Des camarades de Semerniakoff, anciens cosaques comme lui, sont quant à eux installés dans la région de Carcassonne. Plusieurs travaillent pour les Mines et Usines de Salsigne, où ils exercent les professions de mineur ou de manœuvre. C’est par exemple le cas de Jean Goubine, Jean Martchenko ou encore Nicolay Oussatcheff. Liés par un fort sentiment nationaliste et par la religion orthodoxe, ces réfugiés ressentent aussi le besoin de rester soudés dans le rappel de leur glorieux passé militaire.
 

En 1934, ils déposent ainsi auprès de la Préfecture de l’Aude un dossier de création d’une association loi 1901. Cette dernière s’intitule « Stanitza des Cosaques libres séparatistes à Carcassonne » (Une stanitsa était un village faisant partie du territoire d'une des « armées » cosaques, situé sur les territoires actuels de l’Ukraine et de la Russie. Les armées cosaques étaient la plus grande subdivision de la terre des cosaques. Il en existait onze, les plus connues étant celles du Don, de l'Oural et du Terek). Elle est destinée à la « conservation » des Cosaques et à l’étude de leur histoire, mais peut aussi organiser des formes d’entraide et de convivialité entre les adhérents. Elle regroupe une cinquantaine de réfugiés et son siège est installé au restaurant Cubat, rue de la Liberté, dans la ville basse. Farouchement anticommuniste, elle n’accepte bien évidemment aucune personne suspecte de complaisances envers le pouvoir moscovite. Il est d'ailleurs probable que cette association soit bien la « Stanitsa cosaque de l’Ataman Leonid Armennovsko, La colline de Carcassonne », signalée dans les Archives d’Etat russes de Saint-Pétersbourg et qui faisait apparemment l’objet d’une surveillance de la part des autorités soviétiques et françaises. 


Deux ans plus tard, en 1936, peut-être à la suite de désaccords, l’association carcassonnaise se double d’une autre «Stanitza » de Cosaques, dont le siège est alors situé au hameau de La Caunette près de Lastours. Les buts de cette seconde structure sont identiques, et seuls les responsables du groupe sont différents, ce qui peut tout simplement être dû à l’arrivée d’une nouvelle génération. On ignore totalement si ces associations ont continué à fonctionner après la Seconde Guerre mondiale. Ni si les descendants de ces « Cosaques blancs » entretiennent encore la mémoire de leurs ancêtres.