Archives départementales, Patrimoine

Archives vagabondes #11 Un médecin sur le front d’Orient (1915-1917) : Paul Albarel

Albarel
AD 11 28 DV 76/1728 Le docteur Paul Albarel en uniforme © Archives départementales de l'Aude

Le fonds du docteur Paul Albarel, conservé à la Médiathèque d’agglomération du Grand Narbonne et dont les Archives départementales de l’Aude possèdent une copie numérique (28 Dv 76/1-1732), nous plonge dans la Première Guerre mondiale, au cœur des Balkans.

 

Cette chronique vous est présentée dans la rubrique Archives vagabondes

Publié le

 

Ce fonds est constitué de centaines de photographies prises par les opérateurs de l'Armée ou par des soldats (dont Joseph Pigassou), de correspondances et d’un journal de route commencé le 3 octobre 1915, lors de son départ de Narbonne (28 DV 76/1-495). Deux jours plus tard, il apprend qu’il fera partie de l’armée d’Orient. À la suite de l'invasion de la Serbie par les armées austro-allemandes et bulgares, Français et Anglais débarquent en Grèce pour aider les troupes serbes qui se replient vers le sud, et maintenir ainsi ce deuxième front.

 

De Marseille à Guevgueliya


Après avoir embarqué à Marseille et passé douze jours en mer, Paul Albarel débarque à Salonique (Thessalonique), puis prend le train jusqu’à Guevgueliya, en Macédoine du Nord. Etant médecin avant la guerre, il travaille à la mise en place d’un hôpital dans cette ville située à 20 kilomètres du front. Quelques jours après son arrivée (27 octobre), les premiers blessés arrivent : « Matinée très fatigante. L’hôpital est plein de malades et de blessés, il faut les passer en revue, faire tous les billets d’hôpital et toutes les paperasseries que font d’habitude les secrétaires. La soirée se passe de nouveau dans les mêmes conditions. On nous annonce qu’un nouveau convoi de 47 blessés ou malades doit arriver vers 7 heures et demie. Nous décidons de souper rapidement. Nous étions à moitié repas quand on vient nous avertir que le train est en gare. Je quitte la table et vais procéder à l’évacuation du train […]. Un blessé est mort pendant le voyage. Il y a deux contagieux […]. Enfin vers 11 heures tout est terminé et nous allons nous coucher, fourbus et exténués. »
 

Chaque jour, Paul Albarel est chargé d’accueillir les malades et les blessés et de les installer à l’hôpital devenu très vite plein (300 places). Le 5 novembre, il écrit dans son carnet : « À la fin du repas, dépêche annonçant l’arrivée de 187 blessés ou malades dont 50 brancards. C’est terrifiant. Comment allons-nous évacuer tout cela avec un personnel qui est sur les dents depuis notre arrivée ? Ces pauvres infirmiers sont surmenés. Le train arrive à 9h. Malgré les voitures et le dévouement sans borne de mes infirmiers, l’évacuation dure jusqu’à 2 heures du matin. […] Ces pauvres blessés sur brancards étaient sur le quai de la gare à attendre. Chaque voiture ne pouvant en porter qu’un seul à la fois et mettait 25 minutes à faire l’évacuation ».
De plus, les trains se remplissent désormais de réfugiés serbes, entassés dans des wagons à bestiaux, qui fuient l’avancée des Bulgares.
 

Repli sur Salonique


En décembre, la situation militaire évolue. Les troupes alliées se replient sur Salonique. Paul Albarel et ses camarades rejoignent aussi cette ville, poussés par l’avancée des combattants. Il craint alors d’être repoussé jusqu’à la mer sans issue possible. A l’hôpital, Paul est toujours chargé de l’accueil des blessés, des soins et des gardes. Il écrit : « Il y a un train d’annoncé qui amène 85 blessés ou malades. Les nouvelles de la ville sont plutôt tristes, les journaux sont pessimistes. La Grèce a refusé les conditions des Alliés. Le blocus va commencer. Que va-t-on devenir dans tout ça ? A quelle sauce va-t-on être mangés ? ou rôtis ou noyés ? Il est curieux de remarquer qu’un pareil état des choses n’a pas l’air de grandement impressionner qui que ce soit. Chacun fait son travail comme d’habitude et nos dîners sont d’une gaîté folle. Il faut pour cela être complètement détaché de tout souci extérieur et ne penser à vivre qu’au jour le jour. » Il est conscient qu’avec ses camarades, il ne peut rien changer au cours de la guerre. Tous se résignent à ne penser qu’au quotidien et à profiter des moments passés ensemble, dès qu’ils le peuvent. 
 

Paul Albarel lit très régulièrement les journaux et se tient au courant des combats qui se déroulent alors à Verdun. En février 1916, il parle chaque jour de cette bataille, pourtant si lointaine pour lui, dans son carnet. Il suit l’avancée des troupes avec ses camarades sur une carte. Les journaux semblent optimistes, Paul pense déjà à la fin de la guerre et à son retour en France. A l’hôpital, blessés et soignants ne parlent que de Verdun. 
Paul continue de décrire son quotidien, les visites aux malades, les gardes, les balades qu’il peut faire et, le 17 mars 1916, de sa rencontre originale avec un camarade. Il est alors stupéfait d’apprendre que des fouilles archéologiques ont lieu à Salonique, alors que les bombardements continuent à quelques kilomètres de là ! « À 5h, je vais faire un tour de promenade. Je rencontre le Dr Dreyfus qui a été à l’hôpital d’évacuation. Je lui demande ce qu’il fait et je suis abasourdi par sa réponse. Il s’occupe des fouilles qu’on fait à Salonique pour mettre à jour des documents anciens. […] Je me demande par quelles intrigues Dreyfus est arrivé à se faire nommer là, car en fait de compétences archéologiques, il n’en a aucune. » Paul est ensuite invité à aller voir les découvertes réalisées. En se rendant sur le site, à dix kilomètres de Salonique, il découvre d’autres campements français et anglais et d’autres hôpitaux en construction. Dreyfus lui montre les objets sortis de terre. « Il n’y a rien d’extraordinaire, tout est très grossier et doit dater d’une époque très peu artistique. Je note un dolium romain en terre où les anciens mettaient le vin. Il est un peu décoré en haut mais les dessins sont très grossiers et dénotent peu de goût ; un pot en terre brune portant comme dessin des lignes ondulées ; le corps sans tête d’une statuette grossière […]. En somme rien de fameux ». La fouille de ce tumulus ne semble pas émerveiller notre médecin !

Une permission, enfin !


Alors qu’il ne s’y attendait plus, Paul Albarel bénéficie d’une permission d’un mois pour retourner en France. Il embarque le 18 avril et arrive à Narbonne le 26. Son carnet ne reprend que le 10 mai, lorsqu’il repart à Toulon pour embarquer le lendemain. Il est alors beaucoup plus succinct. Paul n’écrit plus tous les jours, et souvent que quelques lignes par jour, alors qu’il avait l’habitude jusque-là de décrire dans les moindres détails son quotidien.
 

Et le retour auprès des siens


Le 23 juin 1917, il écrit : « Les derniers jours passés à Salonique ne sont guère remarquables. Je languis surtout de recevoir l’ordre de départ. Presque tous les jours il y a des incursions d’avions boches mais ils ne lancent pas de bombes ». Paul Albarel quitte la Grèce quelques jours après.
Ce front oriental aura eu une importance considérable, souvent oubliée, dans le déroulé de la Première Guerre mondiale. En septembre 1918, l’armée d’Orient réussit à vaincre  les puissances centrales, facilitant ainsi la réussite des Alliés sur le front français. Les soldats ne seront pourtant démobilisés qu’à l’automne 1919. Alors que les batailles de la Marne, de Verdun, de la Somme font la fierté des Français, les soldats de l’Armée d’Orient se sentirent oubliés, les batailles de Monastir ou d’Uskub restant inconnues du grand public.

Bibliographie


Albarel P., Viva lo vin !, farcejada en un acte, illustrations de Pierre Dantoine, Institut d'estudis occitans, 1996.
Salvat J., Le docteur Paul Albarel, majoral du félibrige, Société d’Éditions Occitanes, 1929.