Archives départementales, Patrimoine

Archives vagabondes # 12 Une ambassade en Turquie (1925-1926) : Albert Sarraut

Portrait d'Albert Sarraut 12 J 414 © Archives départementales de l'Aude

Revivez le passage d'Albert Sarraut, politicien audois, au poste d'ambassadeur de France à Istanbul en 1925-1926. 

 

Cette chronique vous est présentée dans la rubrique Archives vagabondes

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Parmi tous les papiers d’hommes politiques conservés aux Archives de l’Aude, les archives d’Albert Sarraut (1872-1962) constituent incontestablement l’ensemble le plus complet. Confiées au département en 1972 par sa petite-fille, Mme Hélène Jeanbrau, et rassemblées dans la sous-série 12 J, elles représentent une trentaine de mètres linéaires et illustrent parfaitement la longévité politique du personnage et l’incroyable richesse de sa carrière publique. Elles sont donc une source de premier plan, non seulement pour l’histoire audoise, mais également pour celle de la politique intérieure, extérieure et coloniale française durant la première moitié du XXe siècle. Force est d’ailleurs de constater, comme il était hélas de coutume à cette époque, qu’elles contiennent de nombreux documents publics, auxquels viennent tout naturellement s’ajouter des dossiers personnels. 


Membre du Conseil général de l’Aude à partir de 1901, député du département dès 1902, puis sénateur en 1926, Albert Sarraut cumule une très longue carrière parlementaire avec de nombreux postes ministériels, qui le voient à plusieurs reprises œuvrer au sein des Ministères de l’Intérieur, de la Guerre, de l’Instruction Publique, des Colonies et de la Marine. En 1933 et en 1936, il occupe également, pendant quelques mois, le poste de Président du Conseil. Enfin, après la Seconde Guerre mondiale, il est élu membre puis président de l’Assemblée de l’Union Française, en raison de son excellente connaissance des questions coloniales. 
 

L'installation à l'ambassade

En janvier 1925, alors qu’il ne siège plus au Parlement et se morfond quelque peu d’avoir été écarté par le Parti Radical, il est nommé ambassadeur en Turquie par Edouard Herriot. Les relations franco-turques ont alors fortement besoin d’être restaurées et confortées, rendues quasi insignifiantes par les déchirements du premier conflit mondial, puis par les suites du traité de Sèvres, mais compliquées aussi par l’émergence à Ankara d’un nouveau pouvoir politique, celui du sauveur de la patrie et du restaurateur de son intégrité territoriale en 1922 : Mustapha Kémal. 


En avril 1925, le nouvel ambassadeur arrive à Istanbul par l’Orient Express. Lorsqu’il découvre le siège de son ambassade, dans le quartier de Péra, proche du Bosphore, il la voit alors comme « … une grande dame, pas toute jeune, mais encore fort belle qui, dans l’abandon où on la confine, a négligé pour son visage, l’entretien de l’éclat emprunté aux crèmes Simon, au rimmel et au rouge-baiser ». Dès lors, il entend donc « réveiller la belle au bois dormant » ! Le 7 mai suivant, Sarraut se rend à Ankara pour présenter ses lettres de créance au nouveau maître de la Turquie. Il prononce un bref discours protocolaire et est rapidement fasciné par l’allure, l’intelligence vive et le regard perçant de son interlocuteur. D’emblée, il accède donc à la demande du gouvernement turc, qui souhaite que l’ambassadeur français s’installe dans la nouvelle capitale, située alors à 24 heures de train d’Istanbul. Avec très peu de moyens et de vieux meubles récupérés, Sarraut fait des miracles et y organise en un temps record une résidence accueillante, dont les réceptions mondaines et les bals vont bientôt faire courir toutes les élites locales, y compris Kémal lui-même. 
 

Les missions de Sarraut

Outre les divertissements, l’ambassadeur de France est alors surtout chargé du règlement d’un lourd dossier politique : le contentieux relatif à la nouvelle frontière tracée entre la Turquie et la Syrie, qui est alors sous protectorat français. En février 1926, après de longues et âpres négociations, un accord définitif est finalement scellé et ratifié par les deux parties, permettant ainsi d’effacer les nombreuses occasions de friction ou de conflit. 


Mais Sarraut doit également s’occuper du maintien du protectorat traditionnel exercé par la France sur les populations catholiques de Turquie, destiné à leur faciliter la vie en jouant le cas échéant les bons offices auprès du gouvernement turc. Celui-ci n’est pas du goût du Vatican, qui entend être en relation directe avec le pouvoir ottoman pour les questions religieuses. Mais le Quai d’Orsay n’entend pas se plier aux injonctions du Saint Siège ! 
 

Des visites en grande pompe 

Le 19 juin 1925, alors que la fin de l’année scolaire approche, il se rend au collège Saint-Joseph d’Istanbul, situé sur la rive asiatique et tenu par les Frères des Ecoles Chrétiennes, pour y présider la traditionnelle fête des jeux. Un livret, spécialement confectionné pour perpétuer le souvenir de cette journée et comprenant de nombreuses photographies, nous permet aujourd’hui d’en mesurer toute la  symbolique. Le représentant de la République reçoit d’abord l’hommage des élèves qui lui adressent un discours flatteur. Il leur répond ensuite en faisant l’éloge de l’enseignement dispensé par les établissements religieux français de Turquie, dont il souligne la rectitude morale, les qualités intellectuelles et le sens de l’altruisme, mis au service de la diffusion internationale de la pensée française. Puis, dans une vaste cour, bondée et décorée aux couleurs de la France, les élèves se livrent à divers concours athlétiques ou disciplines sportives (basket-ball, cyclisme, gymnastique, volley-ball, …). Le 15 août suivant, profitant de l’accord du Ministre turc des Affaires Etrangères, Tefvik Rouchdi Bey, l’ambassadeur préside également en grande pompe un office solennel dans la cathédrale chrétienne de Pétra, après avoir rendu visite, dans la matinée, à la maison des sœurs de Saint-Vincent-de-Paul.  

Un retour précipité 


En 1926 toutefois, les relations avec les autorités turques se tendent fortement, à cause de la politique de laïcisation forcée menée par le pouvoir ottoman et de ses répercussions sur les non-musulmans. Mais l’ambassadeur n’a guère le temps d’intervenir, puisqu’il est rappelé en France par Poincaré et effectue son voyage de retour en juillet de la même année. Bien des années plus tard, en 1953, Albert Sarraut écrit ses souvenirs et revient sur les temps forts de son passage au pays d’Atatürk, aux obsèques duquel il représente d’ailleurs le gouvernement français en 1939. Sans illusions excessives sur les résultats de son bref séjour dans la Corne d’Or, il estime toutefois qu’il avait alors bien saisi la nouvelle réalité turque et contribué au rétablissement de relations d’amitié entre les deux pays. Enfin, il conclut son propos, dans un élan d’optimisme, sur le fait qu’en certaines occasions on peut néanmoins être « prophète, en dehors de son pays ».

Bibliographie

Sarraut (Albert), « Mon ambassade en Turquie », Revue des deux mondes, juillet 1953, p. 48-72.

Trille (Marc), Répertoire numérique de la sous-série 12 J « Fonds Albert Sarraut », 1994, 100 p.