Patrimoine, Archives départementales

Archives vagabondes #14 Un rugbyman audois aux «Antipodes» : Louis Mazon

Portrait de Louis Mazon, fond Louis Mazon, 79 J 86 © AD11

Découvrez les grandes heures de l’ AS Carcassonne XIII dans les années 40 et 50 à travers les archives d'un de ses joueurs emblématiques : Louis Mazon. 

 

Cette chronique vous est présentée dans la rubrique Archives vagabondes

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L'âge d'or du XIII audois

Vieille terre de rugby, l’Aude est traditionnellement partagée, depuis les années 1930, entre treizistes et quinzistes. Né officiellement en 1934, puis interdit par le régime de Vichy en 1941, le « Jeu à XIII », comme on l’appelle alors, fait sa réapparition dans la France de la Libération et se restructure durablement en 1947 lors du Congrès de Bayonne. Dans ces années d’après-guerre, il connaît rapidement une forte expansion : les clubs se multiplient et les compétitions sont réorganisées pour la plus grande joie d’un public connaisseur, enthousiaste et passionné. 


Force est alors de reconnaître que cet âge d’or du XIII audois est principalement dû à un club : l’Association Sportive de Carcassonne (ou ASC XIII). Passé au rugby à XIII en 1938, celui-ci adhère en 1944 à la Ligue nationale renaissante et se restructure sous la présidence de Georges Ramond, aidé par Gaston Noubel. Nombre d’anciens joueurs ont alors «raccroché les crampons» et un solide recrutement s’impose donc pour améliorer l’effectif. A Jean Poch et Félix Bergèse, seuls survivants d’avant-guerre, viennent alors s’ajouter de jeunes loups : Germain Calbète, Martin Martin, Edouard Ponsinet, Aubert Puig, dit Puig-Aubert ou « Pipette », exceptionnel buteur, et Louis Mazon, solide pilier de 80 kilos. Ce dernier est d’ailleurs décrit plus tard, de façon élogieuse, par Lucien Pelofi : « Rapide, feinteur, bon passeur, défenseur de tout repos pour ses partenaires, il ne vivait que pour le rugby… ». 

 

L’ASC sur la route des cimes

Dès les premiers matches, cette nouvelle équipe montre d’indéniables qualités, tant offensives que défensives. Les avants, impressionnants de puissance et surnommés « la famille Taillefer » tant ils semblent invincibles, préparent efficacement le terrain pour les envolées des lignes arrières. Au sein du XIII français, l’ASC devient vite irrésistible et sa notoriété dépasse les frontières nationales. Les Canaris, surnommés ainsi à cause de leur maillot jaune, se déplacent en Grande-Bretagne et reçoivent, au stade de la Pépinière, les meilleurs clubs anglais. Partout, ils affirment leur suprématie. Entre 1945 et 1959, les carcassonnais disputent douze fois la finale du championnat de France et remportent cinq fois le trophée. De même, ils jouent sept finales de Coupe de France et l’enlèvent à quatre reprises. Difficile alors de trouver un autre club avec un tel palmarès !

Rapidement devenu un club de vedettes, l’ASC pratique un rugby flamboyant et total, où l’entraineur René Carrasco «privilégie la vitesse d’exécution». Le plus important est donc « d’éviter le contact, ce qui ne veut pas dire refuser le combat aux avant-postes, mais plutôt axer les efforts de l’ensemble des joueurs vers un jeu de passes de plus en plus rapides ». Grâce à la grande qualité de son jeu, le club carcassonnais attire de plus en plus de supporters, venus de tous les coins du département. Avec une telle réussite, les joueurs concernés sont très fréquemment sélectionnés dans l’équipe nationale. En 1946, à Swinton, c’est notamment grâce à eux que l’équipe de France bat l’équipe d’Angleterre par 16 points à 6. 
 

La tournée océanienne

Au début des années 1950, l’AS Carcassonne XIII est à son zénith, au point que les trois saisons allant de 1950 à 1953 sont bien souvent qualifiées de « Trois glorieuses ». En 1951, quatre « canaris » sont sélectionnés pour participer à la tournée de l’équipe de France en Australie et en Nouvelle-Zélande, qui demeure incontestablement un des grands moments de l’histoire du club et du rugby à XIII français. Ce voyage en terres lointaines est suivi passionnément par le public audois, qui scrute les exploits de ses «quatre mousquetaires» dans la presse et grâce à la radio. Le départ a lieu le 14 mai 1951. La veille, les carcassonnais ont remporté encore une fois la Coupe de France en battant Lyon sur le score de 22 à 10. 


 

Après de nombreuses escales, l’équipe française est présentée à la presse de Sydney le 19 mai. Par la suite, les joueurs enchaînent les matches contre les équipes des provinces, auxquels s’ajoutent trois tests contre l’équipe nationale australienne. En juin, ils gagnent Auckland où ils affrontent les meilleures équipes néo-zélandaises. Partout, la presse s’enthousiasme pour leurs exploits. Le bilan de la tournée est d’ailleurs phénoménal : sur 21 matches, 17 victoires et seulement quatre défaites. Deux fois sur trois, les Kangourous australiens, considérés comme les meilleurs du monde, mordent la poussière. Puig-Aubert y devient alors une légende des stades, en inscrivant un total de 236 points. Il réalise notamment un sans-faute lors des trois tests-matches : 18 transformations sur 18 tentatives. A Brisbane, devant 50 000 spectateurs, il réussit, à la dernière seconde de la partie, un drop magistral de 65 mètres. « Pipette » et Mazon refusent toutefois les propositions pharamineuses des clubs australiens. Ils ne veulent pas quitter Carcassonne… !

 

Un retour triomphal

C’est en bateau que s’effectue le retour en France à partir du 19 août 1951. A Marseille, l’arrivée des joueurs est triomphale et « à l’américaine » : voitures décapotables, circulation bloquée, jets de papiers colorés depuis les étages et les toits des immeubles. A Carcassonne, même s’il est moins grandiose, l’accueil est tout aussi chaleureux, comme l’indique le Midi-Libre du 21 septembre : un avion décoré en jaune et noir survole l’esplanade de  la gare, les héros du jour croulent sous les gerbes de fleurs et montent dans des voitures, escortées par les motards de la police, pour faire le tour de ville. Reçus par le conseil municipal, ils apparaissent ensuite au balcon de la mairie, puis participent à un grand banquet présidé par le Préfet. Partout, c’est une foule en délire qui les ovationne et les félicite des « prestations éblouissantes fournies sur les stades australiens ». 


Revenant, des années plus tard sur cette tournée d’anthologie, Louis Bonnery, ancien directeur technique national, n’hésite pas à écrire qu’il s’agit sans doute là d’ « un des temps forts, si ce n’est le plus fort pour l’instant, dans l’histoire treiziste française ». En 2001, pour préserver la mémoire de cet évènement et de la prestigieuse carrière sportive de son mari, l’épouse de Louis Mazon remet ses documents aux Archives de l’Aude (sous-série 79 J).
 

Bibliographie

  • Bonnery (Louis), Le rugby à XIII, le plus français du monde.1996, 489 p.
  • Pelofi (Lucien), A. S. Carcassonne XIII. 1938-1989. 50 ans en jaune et noir. 1989, 104 p. 
  • Les rugbys dans l’Aude. Des origines à 1980. 1998, 220 p.