Patrimoine, Archives départementales

Archives vagabondes #7 De Belvis à l’Indochine : journal de marche du lieutenant Crestia (1948-1951)

Crestia
Portrait du Lieutenant Crestia, AD 11 3 J 3037/2. © Archives départementales de l'Aude

Le lieutenant Crestia a relaté, jour après jour, son voyage depuis Belvis, son village d’origine en Pays de Sault, jusqu’au cœur de l’Indochine (actuels Vietnam, Laos et Cambodge), alors que la France est en plein conflit armé avec ses colonies depuis 1946.

Cette chronique vous est présentée dans la rubrique Archives vagabondes

Publié le

Grâce au don de la famille Pauc de Coustouge, le journal de marche du lieutenant Crestia est désormais conservé dans les fonds des Archives de l’Aude (cote 3 J 3037/1).

Départ de France


Le journal de marche commence le 3 novembre 1948. Crestia note dans ce petit carnet (19.5 x 13cm) son ressenti, les principaux événements de chaque journée, le courrier qu’il reçoit et envoie. 
Le lieutenant rejoint d’abord le camp de Sathonay (Rhône). Il est alors dans « l’incertitude complète » concernant les prochains jours de mobilisation. Le 8 décembre 1948, il écrit : « On moisit ici au camp de l’ennui et de la dépense. Radio bobards débite à plein rendement. ». Après quelques jours de permission pour les fêtes de fin d’année, le départ est enfin prévu pour le 11 janvier. Il embarque à Marseille sur le Maréchal Joffre, paquebot de 150m de long, pour un voyage d’un mois à destination de Saïgon.
Sur le bateau, les journées sont assez calmes. Le lieutenant Crestia évoque les danses et les bals, la musique, la messe du dimanche, les parties de bridge et d’échecs, les conférences sur l’Indochine, mais se plaint d’une certaine monotonie.
 

Arrivée à Saigon


Le 9 février 1949, le bateau débarque à Saigon. Le commandement semble mal organisé : « [un] bordel tel qu’on a l’impression qu’on se fout du peuple », « la pagaille continue ». Il est finalement affecté au Laos. Crestia décrit Saigon comme une ville « fourmilière d’officiers », où « les jeeps circulent à longueur de journée » ; « vie cossue et faste pour les Européens installés depuis longtemps mais dure et pénible pour la majorité des militaires » ; le climat semble déjà lui peser : « chaleur étouffante, moustiques ».
 

Le Laos


Crestia poursuit sa route vers Vientiane où il reçoit la visite du roi du Cambodge et profite de danseuses laotiennes avant de partir pour Luang Prabang, puis Pak Hou en remontant le Mékong. Il bénéficie alors de loisirs locaux, danses, visites de grottes et de pagodes, parties de football…


Les déplacements continuent, les journées sont rythmées par quelques exercices de combat, des nettoyages d’armes et la construction de blockhaus. Certains de ses camarades peinent à suivre le rythme : « Beaucoup de trainards arrivés dans la nuit. »,  « La fatigue de la veille se fait sentir, on piétine », « Mikey complètement crevé, aura de la peine à se remettre », «  Mikey n’en peut plus, fatigué, il roulera dans le ravin. Ne rejoint que tard dans la nuit ». Certaines journées sont particulièrement longues et éprouvantes : « 25 octobre 1949 : Départ 6h30 eau, boue, sangsues, radeaux et ponts de singe, cassage de gueule et tout et tout. Arrivée 18h si crevés qu’on décide de coucher à Pak Hang malgré que nous ayons déjà 24h de retard ». 


Ils tombent régulièrement dans des embuscades dans les rizières. Les 3 et 4 novembre, Crestia écrit « À 17h30 accrochage dans la rizière, 3 rafales, une grenade. Réponse immédiate grenade, mortier, belle baroufe. Il pleut pour changer. Embuscade sur la piste Hin Siou. Accrochage dans la nuit. 1 chasseur blessé. Evacuation du blessé. 13h entends grosse fusillade. Reçois mot du Capitaine m’annonçant qu’il était tombé en embuscade. A caporal tué, 1 chasseur blessé, 2 coolies [travailleurs agricoles asiatiques] tués. Je pars avec deux groupes et des coolies pour les aider à ramener morts et blessés.»


Le climat est toujours difficile, il pleut quasiment tous les jours et les chaleurs sont accablantes. Crestia relate de gros orages : « Il pleut dans la baraque comme dehors », et le moral s’en ressent : « Rien n’a manqué, ni la boue, la pluie, ni les sangsues », « cafard noir, première dysenterie sérieuse », « un jour de plus seul à m’emmerder », « Les journées dites de repos sont infernales, gros rhume, gros cafard, quelle vie ! ». 


Il regrette que les repas soient tous semblables : « menu sempiternel et inévitable : boule de riz, buffle boucané, quand c’est fini on recommence ». Pour le noël 1949, « Hélas le menu ne peut être que riz poulet arrosé de choum ».


Enfin, l’attente du courrier est longue : « Pas de courrier, quelle barbe ! 3 fois zut pour le service postal », « À mon arrivée, joie d’un volumineux courrier et un colis : saucissons en piètre état », « J’ai le cafard, toujours pas de courrier, j’en ai marre ! », « Pas de courrier, merde ! », « Pas de courrier, piste sûrement coupée. ». Il expédie lui aussi des colis en France : peaux de serpent, tapis, serviettes brodées…
 

Le retour


Crestia termine l’année 1949 par ces mots « Année bien remplie je crois. » et commence 1950 par des opérations militaires qu’il n’a pas pu relater dans son carnet : « Faute d’avoir emporté le journal de marche en opérations, il serait trop long de raconter ce qui s’est passé à la 13e compagnie d’intervention dont j’ai pris le commandement. Les mauvais jours ont succédé aux bons et vice versa. On a fait ce qu’on a pu et le 18 juin 1951, c’est avec joie et avec la certitude d’avoir fait ce que j’ai pu que j’ai pris à Ventiane l’avion pour Saïgon. ».

Puis il rentre chez lui. Son carnet reprend le 27 novembre 1953 : « On remet ça, départ pour l’Allemagne. 10h taxi, adieux Marcelle assez mouvementés ». Il arrive à Marseille le 2 décembre et à Saigon le 10 janvier 1954. Il y restera jusqu’au 25 janvier 1956.