Crimes, brigands et mystères audois #2 Triple assassinat au Petit-Baliste (1887) Episode 4 : Coups de théâtre

La Fraternité, manchette du 10 Août 1887 © AD11

Changeons de journal pour ce quatrième épisode, avec trois articles datés du 9 juillet et du 13 Août 1887. En effet, La Fraternité, journal républicain, donne une version étoffée des derniers événements qui bouleversent l'enquête, là où Le Courrier de l'Aude reste plus évasif.

Cette chronique est issue de la saison 2 de la collection Crimes, Brigands et Mystères Audois, aussi disponible en audio.

 

 

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Assassinat du Petit-Balixte, La Fraternité du 9 juillet 1887

Après de longs jours d'attente et de conjectures, on a eu enfin des nouvelles de Siadoux, malgré que l'itinéraire qu'il a suivi en quittant Narbonne n'ait pu être fixé dans toute sa longueur. 
Des renseignements particuliers nous permettent d'affirmer qu'il était allé dans la République d'Andorre où il a travaillé quelque temps. 
Sachant sans doute qu'il était recherché, il a quitté la personne qui l'occupait et s'est réfugié dans les montagnes. 
Pour se déguiser, il a offert à un charretier d'échanger la casquette avec le berret. Les présomptions très graves qui pèsent sur lui et les dépositions d'un témoin, le jardinier son voisin, prennent beaucoup plus de vraisemblance. 
Si Siadoux est l’assassin, le mobile du crime serait alors la passion qu'il nourrissait pour Marie Rougé, car il lui aurait même fait, à plusieurs reprises, des propositions malhonnêtes, et menacé de la tuer si elle ne se livrait pas à lui. 
On craint, à l'heure qu'il est, qu’il n'ait passé la frontière. A demain d'autres détails. 

L’assassinat du petit-Baliste, arrestation du coupable, La Fraternité du 9 juillet 1887

Siadoux a été arrêté le 7 août, à 9 heures du matin. Le brigadier de gendarmerie Pourut et le gendarme Lacour, de la brigade de Paliés, arrondissement de Pamiers (Ariège) ; se présentèrent dimanche 7 courant, à 9 heures du matin, chez le sieur Delcassé, cultivateur au hameau de Batgels ; en entrant chez ce cultivateur, ils remarquèrent un étranger à la localité qui, à leur aspect, fut effrayé. Saisissant sur la table un couteau de table, comme pour se défendre, il courut se réfugier dans une étable à bœufs. 
Le brigadier Pourut se mit à sa poursuite et le saisit à bras-le-corps en l'empêchant de se servir de son arme (le couteau), dont il le menaçait ; le gendarme Lacour arrive aux secours de son brigadier, et tous les deux mettent cet individu en état d'arrestation.
Son signalement répondant à celui de Siadoux, les braves gendarmes sont sûrs de tenir le terrible assassin du Petit-Baliste. 
Ils lui reprochent alors son crime, qu'il nie en disant que celui qui l'a commis est un espagnol qui est arrêté et entre les mains du Parquet de Narbonne, mais ils trouvent un témoin, le sieur Dussanty, auquel Siadoux, peu d'instants avant son arrestation, avait fait ses confidences et auquel il avait notamment raconté qu'il avait assassiné sa femme et sa belle-sœur parce que sa femme avait eu des relations avec son maître et qu'à la suite d'une scène conjugale il les avait tué toutes deux. 
Confronté avec ce témoin. Siadoux fit des aveux complets. 
Il venait de se louer chez le sieur Delcassé, cultivateur, pour trois mois, à raison de 50 francs par mois. 
Il est attendu cette après-midi à Narbonne.
La rumeur publique était donc fondée, lorsqu'elle accusait Siadoux, le lendemain du crime, d'être l'assassin de sa belle-sœur et de sa femme enceinte de 7 mois.
 

Le crime du Petit-Baliste, La Fraternité du 13 août 1887

Notre correspondant particulier de Narbonne nous écrit : 
Dans l'après-midi de mercredi, M. le juge d'instruction a fait subir à Siadoux un interrogatoire qui a duré près de cinq heures. Comme je l'avais prévu hier, l'assassin a donné une version invraisemblable. Il reconnaît bien avoir tué les deux victimes, mais il prétend avoir été provoqué par sa femme qui, d'après lui, l'aurait frappé à coups de couteau, sous prétexte qu'il l'accusait d'entretenir des relations avec son maître.
Siadoux voudrait prouver par là qu'il se trouvait en état de légitime défense. 
Heureusement, de nombreux témoignages détruisent entièrement les allégations du meurtrier, en nous faisant connaître le seul mobile qui a pu armer son bras.
On le sait, Siadoux éprouvait depuis longtemps pour sa belle-sœur, la jeune Marie Rougé, une passion qu'il avait essayé, à plusieurs reprises, d'assouvir, mais toujours sans succès. 
Exaspéré par cette résistance énergique à laquelle il ne s'attendait sans doute pas, Siadoux avait fait, la veille même du crime, des menaces de mort à sa belle-sœur, qu'il croyait emmener ainsi à composition. 
Et la nuit suivante il avait dû renouveler ses tentatives. 
La jeune fille, apeurée, avait sans doute pris la fuite, comme elle l'avait déjà fait dans de semblables circonstances, mais Siadoux la rejoignit dans la cuisine et une lutte s'engagea. 
C'est alors que la femme de Siadoux dut descendre les escaliers un bougeoir à la main, et que ce dernier dépité de ne pouvoir assouvir son ignoble passion et honteux de se trouver dans une situation aussi ridicule, furieux, égorgea les deux femmes. 
Après avoir commis un tel forfait, Siadoux essaya peut-être de se donner la mort en se frappant au flanc mais il n'eut pas assez de courage ; c'est ce qui explique sa légère blessure. 
L'assassin préféra créer la fable qui a pu égarer pendant si longtemps la justice, et il prit ces dispositions à cet effet. 
Après avoir lavé le couteau qui avait servi à commettre le crime, il brisa la fenêtre du jardin, jeta sa montre dans un champ et se décida ensuite à demander du secours.
Nos lecteurs savent trop ce qui s'est passé depuis ce moment pour que nous revenions encore sur les événements qui suivirent la découverte du crime. 
Mais on ne peut que déplorer la longue captivité infligée aux trois Espagnols arrêtés primitivement et sur lesquels Siadoux lui-même faisait pleuvoir toutes les charges. 
Nous n'adresserons pas des reproches à ce sujet à M. le magistrat instructeur, car il a été trompé par un comédien beaucoup plus habile que lui. A. G.