Archives départementales, Patrimoine

Les faux de Lagrasse

Diplôme de Charles le Chauve, portant donation de la villa de Ribaute avec l'église Saint-Félix et la villa de Villerouge avec l'église Saint-Saturnin à un certain Isembert. AD 11 H 11/16 © Archives départementales de l'Aude

Le fonds de l’abbaye de Lagrasse, qui a fait l’objet d’un reclassement récent et d’une numérisation (pour en savoir plus, cliquez ici), est avec celui des Dominicaines de Prouille, l’un des fonds les plus riches des Archives départementales de l’Aude, tant par son ancienneté que par la richesse de son contenu. Or, parmi les chartes datées de 779 à 1119, plusieurs d’entre elles sont des faux ! 

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Selon Elisabeth Magnou-Nortier et Anne-Marie Magnou qui publièrent le premier tome du Recueil des chartes de l’abbaye de La Grasse, les faussaires se sont principalement intéressés aux diplômes royaux et aux bulles pontificales. Le but de ces falsifications était « d’affranchir le monastère de tout autorité, laïque ou ecclésiastique » et d’« obtenir une confirmation authentique de biens convoités ». Enfin, parfois, le faussaire ne souhaite que légitimer une situation car lui, ou son institution, ne possède plus l’acte qui lui permettrait de faire valoir ses droits.

Enquête sur les falsifications


C’est principalement pour identifier les actes faux que s’est créée la diplomatique. C’est en compilant des séries d’observations de caractères externes et internes qu’il était ensuite possible de critiquer tout élément discordant.
Selon la définition du Vocabulaire international de la diplomatique, un acte est considéré comme authentique « s’il est établi dans les formes requises et avec les marques de validation nécessaires pour que pleine foi soit donnée à son contenu ». Un acte faux est donc un acte qui n’est pas diplomatiquement authentique. 
Par ailleurs, un acte falsifié est un acte transformé, remanié, par rapport à un acte original. La falsification peut se faire de plusieurs manières : apposition d’un faux moyen de validation sur un acte dont le contenu est sincère ; substitution de mots dans le corps d’un acte, effacement d’un passage, substitution d’un ou plusieurs mots.
 

De faux documents dans nos archives 


Un acte est toujours divisé en plusieurs parties dont chacune a une fonction bien précise. Quelques règles dans la construction des chartes et le contenu de chaque partie doivent subsister. Toute exception à ces règles doit faire l’objet d’une attention particulière dans le cadre de la critique de l’authenticité de l’acte.

Prenons l’exemple d’un diplôme (acte émanent d’un souverain) de Charlemagne daté du 5 avril 806 dont une copie du XVIIIe siècle est conservée dans nos fonds (H 11/7). Elisabeth Magnou-Nortier considère cet acte comme un faux tant dans sa forme que dans son contenu. Selon elle, le protocole de l’acte est aberrant. Le protocole débute généralement par une invocation (« Au nom de la sainte et indivisible Trinité » par exemple), absente dans cet acte. S’ensuit la suscription, c’est la partie dans laquelle l’auteur de la charte se présente. Ici, Charlemagne s’intitule « Carolus per Dei gratiam magnus Romanorum imperator augustus, a Deo coronatus, qui et rex Francorum et Langobardorum », « Charles par la grâce de Dieu grand empereur des Romains, couronné par Dieu, roi des Francs et des Lombards ». Enfin vient le salut, ici absent également.
 

De quand datent ces falsifications ?


L’activité des moines faussaires est déjà constatée à l’abbaye au milieu du XIIIe siècle selon Claudine Pailhès, archiviste-paléographe. Cependant, le travail des faussaires étant réussi, il est quasiment impossible, pour la majorité des documents, de déterminer au seul examen des caractères externes (support, format, mise en page, écriture), l’époque de réalisation de ceux-ci. Il convient alors d’examiner le contenu des actes pour estimer leur véracité.  
 

Bibliographie 


Magnou-Nortier (Elisabeth) et Magnou (Anne-Marie), Recueil des chartes de l’abbaye de La Grasse, tome 1, 779-1119, Collection de documents inédits sur l’histoire de France, section d’histoire médiévale et de philologie, vol. 24, Paris, CTHS, 1996.


Pailhès (Claudine), Recueil des chartes de l’abbaye de La Grasse, tome 2, 1117-1279, Collection de documents inédits sur l’histoire de France, section d’histoire médiévale et de philologie, vol. 26, Paris, CTHS, 2000.